La mission en trois M

L

« Mission », « évangélisation » — ces mots qui font peur. Tellement peur qu’on en parle tellement peu. Et de fait, la missiologie est le parent pauvre de la théologie réformée, en tout cas en suisse romande.
Les Grandes Commissions
La Grande Commission

Dans le cadre d’une soirée de présentation d’un projet missionnaire, collaboration de trois paroisses de l’EERV, j’ai proposé hier soir trois lignes théologiques qui portent et colorent notre désir d’action.

  1. La missio dei: le moteur de la mission
  2. L’incarnation: le modèle de la mission
  3. La communauté: le moyen de la mission

1. La missio dei — le moteur de la mission

Une idée répandue est que l’Église a une mission, et cela fait partie de ses différentes activités (à côté du service, de l’enseignement, de l’adoration, etc.). Dieu est statique, et parmi ses multiples activités, l’Église témoigne de ce Dieu lointain. L’image que donne la Bible est toute différente: la mission prend sa source en Dieu, et cela dès le jardin d’Eden :

« Adam, où es-tu? » (Gn 3, 9)

Dieu vient constamment à la rencontre du monde: c’est lui qui nous cherche, et c’est lui qui nous trouve. Et même lorsque l’on a l’impression que c’est nous qui sommes les initiateurs, a posteriori on se rend compte que Dieu nous précédait: « ce n’est pas vous qui m’avez choisi, c’est moi qui vous ai choisi. »

La mission est donc la mission de Dieu avant tout.

Dès lors, si l’Église existe, c’est précisément parce que Dieu est en mission, en mouvement, à la recherche de ce qui est perdu. Ensemble vers la vie, la nouvelle déclaration de missiologie du COE l’exprime ainsi:

« L’effusion débordante de l’amour du Dieu Trine est la source de toute mission et évangélisation. »

La mission prend sa source dans le Dieu Trine: le Père envoie le Fils dans la puissance de l’Esprit. C’est le fondement de la vie et de l’œuvre du Christ. Et le fils dit à ses disciples: « Comme le Père m’a envoyé, moi aussi je vous envoie » — et il leur souffle le Saint-Esprit (Jean 20, 21). Le Fils envoie ses disciples dans la puissance du Saint-Esprit, et ce mouvement n’est que la continuité du mouvement initié en Dieu et par Dieu. Ainsi naît l’Église: de la mission de Dieu.

Autrement dit, ce n’est pas l’Église de Dieu qui a une mission dans le monde, mais le Dieu de la mission qui a une Église dans le monde:

Missio Dei

Quelques implications de cela:

  • L’Église n’existe pas pour elle-même, mais pour cette mission. Tout ce qu’elle fait est orienté par ce mouvement de Dieu vers l’autre, et donc l’Église est appelée à toujours s’ouvrir à l’autre. Et être ainsi témoin de ce débordement d’amour du Dieu de Jésus-Christ. L’autre n’étant pas juste le chrétien, le réformé, ou le suisse — mais chacun. Comme le dit un des principes constitutifs de l’EERV:

5. [L’EERV] reçoit du Christ la mission de témoigner de l’Evangile en paroles et en actes. Elle accomplit cette mission dans le canton de Vaud, auprès de tous et sans discrimination.

  • Cela veut dire notamment de ne pas attendre que les gens viennent, mais de faire l’effort d’aller vers eux.
  • C’est toute l’Église qui dans toutes ses activités participe à la mission de Dieu. L’Église entière qui porte l’Évangile entier au monde entier. En particulier, cela implique qu’il ne s’agit pas uniquement de la responsabilité des ministres, mais de toutes et tous. Comme le dit un autre principe constitutif:

6. [L’EERV] reconnaît que tous les baptisés sont responsables de cette mission selon la vocation et les charismes reçus de Dieu.

Le moteur de la mission, c’est le Dieu Trine et son mouvement vers le monde.

2. L’incarnation — le modèle de la mission

L’Église existe pour la mission, soit. Mais comment faire?

Le modèle de la mission, c’est le Christ. Il est le missionnaire par excellence: envoyé par le Père dans la puissance de l’Esprit pour témoigner au monde de l’amour de Dieu. Il est l’Alpha et l’Oméga de la mission de l’Église: la cause (c’est lui qui envoie l’Église), le but (c’est de lui que l’Église rend témoignage), et le modèle — et cela notamment dans son abaissement:

Lui qui n’a pas considéré l’égalité avec Dieu comme une proie à arracher mais qui s’est dépouillé lui-même, prenant la condition d’un serviteur. (Ph 2, 6)

Dans cet abaissement de l’incarnation, il y a une attitude et un méthode.

  1. L’attitude missionnaire: le mot « mission » est souvent associé à une attitude triomphaliste et violente (on sait tout, on a la vérité et pas l’autre, on connaît les réponses à toutes les questions, tous les moyens sont bons pour convaincre). Rien n’est plus faux. La seule attitude acceptable dans la mission est une attitude d’humilité, de service, qui approche l’autre par en-bas.
  2. La méthode missionnaire: l’abaissement du Christ est l’ultime accomplissement de l’accommodatio dei — Dieu se fait à nous, il parle notre langage, d’une manière qui nous est compréhensible au sein de notre culture et de nos connaissances. Malheureusement, dans l’Église nous attendons parfois que l’autre s’adapte à nous: qu’il apprenne à parler la langue et la culture de notre tradition, pour qu’il puisse y participer. L’exemple du Christ nous pousse à faire l’inverse: comment puis-je m’adapter pour que l’autre me comprenne en ses termes? Cette adaptation a un prix: temps, argent, confort, sécurité, traditions. Cela nous pousse à nous demander. est-ce que ces choses là sont plus importantes pour moi que mon prochain? Ou est-ce que l’amour du Christ me presse au point que je soie prêt à faire un sacrifice?

Bien sûr, si Jésus s’adapte à l’autre, ce n’est pas par peur de déranger, pour faire le moins de vagues possibles. Au contraire, c’est pour être mieux témoin d’une réalité nouvelle, qui nous dépasse et nous bouscule. L’incarnation ne peut pas être un prétexte à la timidité ou à la peur. Comme le dit un autre principe constitutif:

9. Dans le dialogue avec les religions, [l’EERV] … respecte la différence tout en continuant de proclamer l’Évangile. …

Le modèle de la mission, c’est l’incarnation, l’abaissement du Fils de Dieu — le missionnaire par excellence.

3. La communauté — le moyen de la mission

Toute la tradition biblique témoigne d’un Dieu qui cherche la relation. L’alliance — grand thème transversal à l’ensemble de la Bible — est un espace de relation entre Dieu et son peuple (et donc entre chacun au sein du peuple). L’œuvre du Christ à la croix peut se regarder au travers du thème de la réconciliation — la restauration des relations avec Dieu, et les uns avec les autres. Mais plus profondément, Dieu est relation: de toute éternité, Dieu est communion d’amour entre le Père, le Fils et l’Esprit. C’est à dire que la réalité ultime est relationnelle: nous ne sommes pas des individus qui, par accident, sommes en relation les uns avec les autres. Nous sommes fondamentalement relationnels.

Et donc la mission de l’Église est avant tout relationnelle. On le voit, dans la bible et dans toute l’histoire de l’Église, la proclamation de l’Évangile crée la communauté. Alors que des hommes et des femmes se tournent vers le Ressuscité, ils se tournent les uns vers les autres, dans une qualité relationnelle nouvelle. Comme le dit un autre principe constitutif:

3. [L’EERV] est communauté de prière, de partage et d’espérance rassemblée autour du Christ par la proclamation de la Parole et la célébration des sacrements. (…)

Ainsi la Parole crée la communauté, et la communauté se met à vivre et prêcher cette Parole, ce qui crée la communauté, etc.

Autrement dit, le moyen et le but de la mission est une communauté qui se rassemble autour du Christ ressuscité. Comme le dit Newbigin:

« La seule herméneutique [la seule explication et interprétation de l’Évangile] est une communauté d’hommes et de femmes qui le croient et qui le vivent. » 1

Voir les choses ainsi résout l’éternelle question: « faut-il témoigner en parole ou en actes? » Le meilleur témoignage au Christ est une communauté qui agit et qui parle. Un lieu de vie et de partage, qui vit des arrhes du Royaume (le Saint-Esprit), et témoigne de cette vie dans ce monde-ci. Tout le reste (structures, projets, règlements, doctrines, etc.) est secondaire. Utile, mais secondaire.

Le moyen de la mission, c’est une communauté qui vit de l’Évangile qu’elle annonce.

  1. L. Newbigin, The Gospel in a Pluralist Society, London, SPCK, 1989, p.227.
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4 commentaires

  • Joli !

    Votre article fait d’ailleurs écho à une préoccupation personnelle : comment doit-on agir, en tant que corps de Christ ? Surtout pas par « réaction », esprit « de revanche » mais dans un(état d’)esprit au service de l’autre, à l’image de ce que Christ a été et a fait sur Terre. Vous le dites d’ailleurs très bien plus haut : « La seule attitude acceptable dans la mission[quelque soit notre champ de mission] est une attitude d’humilité, de service, qui approche l’autre par en-bas ».
    Il y aurait encore beaucoup à développer !

    « Toute la tradition biblique témoigne d’un Dieu qui cherche la relation. (…)L’œuvre du Christ à la croix peut se regarder au travers du thème de la réconciliation — la restauration des relations avec Dieu, et les uns avec les autres. Mais plus profondément, Dieu est relation(…)C’est à dire que la réalité ultime est relationnelle(…)Nous sommes fondamentalement relationnels.

    Et donc la mission de l’Église est avant tout relationnelle. »

    D’autant que la vie éternelle est relationnelle.(1 Jean 5v20)

    Fraternellement,

    Pep’s

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