Dieu est-il recyclable?

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Cet article fait partie d’un synchroblog sur « Loving Nature: Is God Green? ». La liste des contributeurs se trouve en fin de poste.

Il semblerait que quelque part, quelqu’un se demandait un jour si tout de même Dieu est recyclable ou pas. Il s’agit là d’une question parfaitement légitime à laquelle je dois donc m’efforcer de répondre.

Dieu est-il recyclable?

Pour mettre la chose en perspective, il faut rappeler que les débats écologiques sont de plus en plus présent en théologie. Visionnaire, Teilhard de Chardin avait déjà vu l’importance des enjeux liés à la préservation de la planète:

« L’âge des nations est passé. Notre tâche,devant nous, si nous ne voulons pas périr, est de secouer nos vieilles prédispositions et de construire la terre. »

Plus proche de nous, la théologie féministe s’efforce constamment de montrer comment l’exploitation des ressources de la planète est un corollaire du patriarcalisme, qu’il s’agit donc d’opposer. Toutefois, en théologie réformée, c’est probablement à Jürgen Moltmann que l’on pense en premier lorsque l’on parle d’écologie, et notamment à son Gott in der Schöpfung. Ökologische Schöpfungslehre de 1985:

« Dans les années 30, le problème de la doctrine de la création était la connaissance de Dieu. Aujourd’hui, le problème de la doctrine de Dieu est la connaissance de la création. L’adversaire théologique d’alors était l’idéologie religieuse et politique du Blut und Boden, “le sang et le sol”. Aujourd’hui, l’adversaire théologique est le nihilisme pratiqué dans notre gestion de la nature. Ces deux perversions ont été évoquées par la volonté contre-nature de puissance. » 1

Bref, théologie et écologie font bon ménage:

La religion c'est écologique
Religion et écologie font bons ménages.
© Rodho.

Pourtant, à ma connaissance, personne n’a jamais tenté de savoir si oui ou non, Dieu est recyclable.

Dieu fait dans le recyclage

Dieu fait certainement dans le recyclage, par exemple en prenant des gens usés par la vie et en leur redonnant un nouveau souffle. En fait, Dieu se spécialise dans le business de faire du neuf avec du vieux. L’œuvre du Christ en nous et dans toute la création est une œuvre de recyclage:

Si quelqu’un est en Christ, il est une nouvelle créature.
Les choses anciennes sont passées; voici, ce qui est nouveau est déjà là.
— 2 Corinthiens 5, 17

La création toute entière soupire en attendant d’être recyclée (Rom 8, 19–21), de même que nous gémissons dans l’attente d’être pleinement recyclés, jusque dans nos corps (2 Co 5, 4; Ph 3, 20–21). En fait, à travers l’espérance de la résurrection du Christ, le moyen par lequel Dieu sauve le monde est le recyclage, la transformation, la recréation ex materia.

Recycles-toi toi-même
CC BY-NC-SA by Iberian Proteus

Amazing grace, how sweet the sound,
That saved a wretch like me!
I once was lost but now I’m found,
Was blind, but now, I see. 

Dieu faisant dans le recyclage, et nous-mêmes étant appelés à être ses imitateurs, il va de soi que nous sommes appelés à participer à cette œuvre de recyclage de toute la création. En particulier, le recyclage d’objets est un corollaire de la foi chrétienne. Il y a même une profonde spiritualité derrière le recyclage:

  • Le soin de la création
  • Le soin les uns des autres (restaurer et donner, ou vendre et aider, plutôt que jeter)
  • Le soin de nous-même: « la vie d’un homme ne dépend pas de ce qu’il possède » (Luc 12, 15)

Comme l’Évangile, l’écologie nous invite à nous poser des questions sur ce qu’on fait et pourquoi on le fait. En particulier sur la manière dont on consomme et ce dont on a réellement besoin, ou dont on évalue une situation (qu’est-ce qu’un progrès, une avancée).

Dieu, donc, fait dans le recyclage de la création. Et ce faisant il nous invite à faire de même. Mais Dieu est-il recyclable?

L’idée de Dieu est recyclable

L’idée de Dieu, comme toutes les idées, est recyclable. D’ailleurs, le recyclage est une excellente image du fonctionnement de la connaissance et de la créativité, qu’elle soit théologique, scientifique, artistique ou autre: on prend du vieux, on le digère, on l’adapte, on le nettoie, et on en fait du neuf.

On s’en rend d’autant plus compte ces temps, alors qu’avec l’informatique le partage est d’autant plus facile. Mais pas uniquement grâce à l’informatique. par exemple:

Les textes bibliques fonctionnent parfois ainsi. Selon la meilleure hypothèse, Matthieu a recyclé une partie du travail de Marc pour en faire une œuvre différente, adaptée à sa situation, qui nous parle de Jésus autrement. La théologie entière fonctionne ainsi: on écoute ce que nos parents / pasteurs / profs disent de Dieu, on l’adapte, on le modifie légèrement, on en parle un peu autrement, avec nos mots et notre expérience. Et le principe reste le même dans la théologie-à-la-maison que dans la théologie académique: tout discours sur Dieu est recyclé.

De plus, il y a cette idée qui plane chez certains de nos contemporains occidentaux que le christianisme est usé — usé au delà de tout espoir de réparation. Aussi fait-on bien de s’en débarrasser pour consommer quelque chose de plus neuf, par exemple une adaptation d’une philosophie asiatique, ou encore un bris-collage de tout ce qui se fait. Est-ce que le christianisme arrive en fin de vie? Est-ce que la science l’a finalement délogé de son piédestal, comme cela a été prophétisé? Est-ce que le christianisme tel qu’il a été connu traditionnellement en occident doit disparaître, on y a goûté merci, ou est-ce qu’on peut le recycler? Sans parler du fait que l’Évangile connaît un bel essor dans le reste du monde (malgré ce qu’en pense un de mes lecteurs un peu rapide) et donc n’est pas le moins du monde usé, nous sommes encore beaucoup à croire que l’histoire de l’humanité telle que Dieu nous la raconte — cette histoire qui culmine en Jésus-Christ — est toujours belle, puissante et vraie. Pertinente pour nous vies en Suisse au 21e s., capable de les transformer et réorienter. Cette histoire est certainement à dire un peu autrement, nouvellement — à recycler — mais pas à jeter. (Heureusement sinon il faut que je me réoriente et trouve un vrai métier)

Donc l’idée de Dieu, les discours sur Dieu, sont recyclables — et se doivent d’être constamment recyclés. Mais est-ce que Dieu est recyclable?

Excusez-moi, mais la question signifie-t-elle quelque chose?

Avant de savoir si Dieu est recyclable ou non, il nous faut d’abord nous demander si la question signifie quelque chose, s’il est légitime de la poser.

A priori, il s’agit d’une question stupide, n’est-ce pas?2

Pourtant, la question est-elle réellement plus stupide que, par exemple, « Dieu est-il un caillou »? Or la Bible répond à cette question. Oui, Dieu est un caillou:

Car qui est Dieu, si ce n’est l’Éternel;
Et qui est un rocher, si ce n’est notre Dieu?
— Psaume 18, 31

Et pourtant, personne ne pense que Dieu est un rocher à proprement parler.

En fait, toute question — tout discours — sur Dieu, y compris « Dieu est-il Amour ? » ou « Dieu est-il Père? » est, dans un certain sens, aussi absurde que la question qui nous intéresse, à savoir si Dieu est recyclable. Dans un certain sens, Dieu est Tout Autre, toute expression est insuffisante, toute comparaison bancale:

A qui me comparerez-vous, pour que je lui ressemble? Dit le Saint.
— Esaïe 40, 25

Tout langage a une dimension métaphorique

Certains auteurs bibliques étaient tout à fait conscients de cette distance entre leur discours et la réalité. Chez Luc par exemple, à la Pentecôte, les disciples n’ont pas entendus un vent violent, mais « un bruit comme (ὥσπερ) un vent violent ». De même ils n’ont pas vu des langues de feu, mais « des langues comme (ὡσεὶ) de feu ». Tout discours kataphatique doit être compris avec une telle distance entre ce qui est, et ce qui est décrit. On peut alors soit mettre des « comme » partout (Dieu est comme un roc, Jésus est comme un berger), ou alors on peut se rendre compte qu’il s’agit là d’une caractéristique du langage, et on ne met pas de « comme » partout. Il s’agit surtout d’éviter les deux écueils suivants:

  1. Croire que notre langage décrit de manière univoque la réalité
  2. Croire que, notre langage étant incapable de décrire de manière univoque la réalité, nous ne pouvons rien dire — en particulier sur Dieu

D’ailleurs, cette dimension métaphorique du langage est présente non seulement pour parler de Dieu, mais jusque dans les sciences pour parler du crée. Tous nos modèles ne décrivent pas la réalité en soi (qui reste toujours cachée), mais fonctionnent de la même manière, en comparant une réalité que l’on ne connaît pas à un élément que l’on connaît. Et cela à différant niveau de profondeur. Par exemple, le « chaînon manquant », « théorie des cordes », ou la célèbre dualité « corpuscule/onde », voilà autant de métaphores utilisées en science. Comme le dit Niels Bohr (mais dans l’autre sens):

« Images and parables are concepts like wave and particle. They do not precisely reflect the real world, but they do so in part. This is probably also the case with the problems of metaphysics. (…) If the religions throughout the ages have spoken in images, parables and paradoxes, then this can only mean that there is no other way to conceive of the reality that they are used to refer to. But this does not mean that there cannot therefore be any such reality. » 3

Il s’agit là, d’après Vincent Brümmer, d’une des plus importantes découvertes contemporaines en philosophie du langage: « la métaphore n’est pas simplement une figure de style, mais une caractéristique essentielle de la pensée humaine. » 4 Notre pensée fonctionne toujours en comparant ce qui est connu à ce qui est inconnu. D’ailleurs Bohr compare la dimension métaphorique de la pensée scientifique à celle du langage religieux, et je fais l’inverse dans ce texte. Or, dans de telles métaphores, il est crucial de voir les différences entre les choses comparées — « unir sans confondre, et distinguer sans séparer ». Par exemple, lorsque l’on dit que « Jésus est Berger », il faut bien voir que l’on n’entend pas un berger comme ceux que nous connaissons du premier siècle, mais qu’il en a certaines caractéristiques (il prend soin de ceux qui lui appartiennent), et pas d’autres (il ne produit pas du fromage ou de la laine).

La légitimité des métaphores

Alors qu’est-ce quelle est notre légitimité pour dire que Dieu est Amour, un Roc, un Berger, un Père?

Sur le principe, la légitimité de parler de Dieu par métaphore vient du fait que Dieu s’est révélé par images. Ultimement, Jésus est « l’image du Dieu invisible » (Col 1, 15), « l’expression de l’être de Dieu » (Héb 1, 3). Je n’ai jamais vu Dieu, mais Jésus me le fait connaître (Jean 1, 18). Comment est ce Dieu que je ne connais pas? Il est comme Jésus. Voilà le fondement ultime qui légitime le fait de parler par métaphore: c’est ainsi que Dieu a choisi de se révéler. Et comment est ce Jésus? Là aussi, c’est par métaphore qu’on en parle: il est le Bon Berger, l’Agneau de Dieu, le Fils de Dieu, le Fils de l’Homme, Lumière, Vie, Pain, etc.

S’il est légitime d’utiliser des métaphores pour parler de Dieu, toutes les métaphores sont-elles légitimes?

Une métaphore est légitime si elle nous permet de mieux comprendre la chose dont on parle, de mieux l’exprimer. Il s’agit donc d’une question hautement relative et personnelle. Tout pasteur est tragiquement conscient de cette réalité: dire que « Dieu est Père » peut évoquer les émotions les plus belles comme les plus terribles, selon l’expérience que chacun a eue de son propre père. Que faire dans les cas de personne pour qui le mot « père » n’évoque que des atrocités? Faut-il abandonner la métaphore (comme nous le faisons généralement par exemple avec les métaphores de guerre, qui ne nous parlent pas tellement), ou faut-il donner une nouvelle définition au mot qui pose problème?

Bella et Edward
« Dieu est Amour »

Pour les termes importants, Dieu choisir la seconde option, de redéfinir le terme problématique. Dieu donne lui-même le langage pour parler de lui et l’expérience qui permet de donner un contenu à ce langage5. C’est à dire qu’il corrige nos fausses expériences des mots qu’il souhaite utiliser. Par exemple, si lorsque j’entends « amour » je pense à Bella et Edward, je risque de ne pas forcément bien comprendre « Dieu est Amour ». Dieu donne donc la définition de l’amour:

Dieu a ainsi6 aimé le monde qu’il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne périsse point, mais qu’il ait la vie éternelle.
— Jean 3, 16

Ou encore:

Dieu est amour. Voici comment Dieu a démontré qu’il nous aime: il a envoyé son Fils unique dans le monde pour que, par lui, nous ayons la vie.
Voici en quoi consiste l’amour: ce n’est pas nous qui avons aimé Dieu, mais c’est lui qui nous a aimés; aussi a‑t-il envoyé son Fils pour apaiser la colère de Dieu contre nous en s’offrant pour nos péchés.
— 1 Jean 4, 8–10

Dieu est amour, mais pas n’importe quel amour, il est un amour particulier, qui se manifeste d’une manière particulière. Et ce faisant nous permet de comprendre autrement ce qu’est réellement l’amour.

Si nous avons des termes si bons, beaux et justes pour parler de Dieu, est-il légitime de chercher de nouvelles métaphores, comme celle du recyclage? En effet, arrivé à ce stade, on pourrait choisir de coller au langage biblique, ne pas utiliser d’autres termes pour parler de Dieu, et ainsi éviter de dire des âneries sur la recyclabilité de Dieu. Mais c’est aussi risquer de se priver de termes qui peuvent être grandement éclairants (« Trinité »), de termes qui peuvent évoquer des expériences profondes pour nos contemporains mais inconnues pour les auteurs bibliques (comme on l’a vu plus haut, l’idée du recyclage tel que nous le connaissons colle à merveille avec l’œuvre rédemptrice de Dieu). C’est surtout risquer au final de ne transmettre que des mots vides de sens, d’un autre âge, qui n’expriment pas ce que je vis. C’est exactement ce que les disciples n’ont pas fait, eux qui ont dû dire un Jésus tant aux juifs qu’aux grecs, et pour ce faire trouver des nouvelles manières de faire.

Telle est la question

En conclusion, nous avons bien une question devant nous, lorsque nous demandons « Dieu est-il recyclable? » Une question qui pourrait tout à fait ne pas être absurde, pour autant que « recyclable » évoque quelque chose qui nous permette au 21e s. de mieux comprendre Dieu et sa relation à nous, quelque chose qui éclaire notre existence.

Dieu est-il recyclable, ou pas?

Dans un sens, Dieu est recyclable. אֶֽהְיֶ֖ה אֲשֶׁ֣ר אֶֽהְיֶ֑ה, « je serais qui je serais » (Ex 3, 14). Autrement dit, quelque soit la situation à laquelle j’aurais à faire face, Dieu sera. Il sera là, il sera proche, il sera la réponse adéquate à mon besoin en ce moment précis. D’un point de vue subjectif donc, Dieu est recyclable, il s’adapte, se présente sous un jour nouveau, sous un nom qui répond à mon attente la plus profonde.

Dans un autre sens cependant, Dieu n’est pas recyclable. L’idée de recyclage implique un changement. Or — en restant à un niveau dogmatique superficiel et sans rentrer dans les débats diptérophiles sur l’immutabilité de Dieu7 — Dieu n’est pas en changement et évolution constante, il reste le même, hier, demain et aujourd’hui. Cette fidélité à lui-même est le fondement de notre confiance en lui. Il n’est pas capricieux, colérique, susceptible de nous demander un chose le matin et son contraire le soir venu8. Il n’est pas usé, fatigué à bout de souffle, en fin de vie. Même si en Jésus il s’identifie pleinement à nos usures, nos épuisements et nos manques de souffle.  Contrairement à tout ce que nous pouvons croiser dans notre vie, Dieu ne va jamais devenir abîmé, obsolète, désuet, inutile. Ma compréhension de Dieu, oui, et heureusement elle est recyclable. Mais Dieu lui-même, jamais. Comment la vie pourrait-elle se passer de la Vie? Cette question qui est constamment présente à nos esprit, de savoir si tel objet que j’achète ou telle activité que j’entreprends est recyclable, cette question ne se pose pas avec Dieu. Dieu n’est pas recyclable parce que Dieu n’est pas usable.

Conclusion

Pour conclure, et pour être tout à fait honnête, je ne pense pas que quelqu’un ait posé cette question à Google. Il doit simplement s’agir d’une mauvaise suggestion de recherche.

Contributeurs pour le synchroblog:
  1. Traduction libre de Jürgen Moltmann, God in Creation: A New Theology of Creation and the Spirit of God, New York, Harper and Row, 1985, xi. Édition originale: Gott in der Schöpfung. Ökologische Schöpfungslehre, München, Chr. Kaiser, 1985.
  2. A posteriori aussi. Il n’empêche, ça fait réfléchir.
  3. Cité dans G. van den Brink, Philosophy of Science for Theologians: An Introduction, Contributions to Philosophical Theology vol 12, Peter Lang, 2009, p. 241.
  4. Brümmer on meaning and the Christian faith: collected writings of Vincent Brümmer. Vincent Brümmer, Ed. John R. Hinnells. Ashgate Publishing, 2006.
  5. Pour ceux qui refusent l’idée d’une communication divine dans les catégories du langage humain, l’argument fonctionne aussi en ne regardant les choses que du point de vue de l’expérience religieuse humaine à la base des textes bibliques. Mais c’est beaucoup moins fun.
  6. « Ainsi » semble être une meilleure traduction que « tant ».
  7. Dire que Dieu est immuable ce n’est pas dire que Dieu est immobile ou inactif.
  8. Sauf peut-être quelque chose comme lève-toi et sois aimant le matin, et couche-toi et soi confiant le soir.
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