Des difficultés dans les débats engendrés suite au récent Synode de l’EERV

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Introduction

Le récent Synode de l’EERV a créé plein de remous, de mécontentements, de cris de victoire, de démissions, de débats passionnés, etc.

La question de l’homosexualité pourrait être importante, mais n’est pas centrale. Elle est importante, parce que nous sommes peut-être dans une situation similaire à celle qui a mené à la déclaration de la confession de Barmen — où l’Église s’est retrouvée complice de l’oppression d’une minorité — ou à celle de Belhar — où une ethnie politiquement et économiquement majoritaire opprimait des ethnies minoritaires. Si tel est le cas, l’enjeu n’est rien moins que la fidélité à l’Évangile, et une prise de position contre la majorité des Églises chrétiennes serait justifiée. La question de l’homosexualité, toutefois, est secondaire en ce que ce qui se joue dans ce Synode, c’est le rapport à la Bible. Pour des partisans, il s’agit d’une victoire de ceux qui veulent lire la Bible intelligemment ; pour les opposants, il s’agit d’un abandon d’une lecture responsable de la Bible, une trahison de l’esprit de la Réforme.

Ces débats soulèvent donc trois points qui me sont chers depuis plus ou moins longtemps :

  1. la souffrance des LGBT dans la société et dans l’Église (ceci depuis qu’un de mes proches amis m’a avoué son homosexualité, et suite à la rencontre lors de mes études de théologie en Afrique du Sud de gays et lesbiennes ayant été traités comme des ordures par leurs Églises),
  2. la lecture de la Bible (qui est la question qui a traversé et orienté mes six années d’études, dans trois tradition réformées bien différentes, en contexte occidental et africain, de conviction « orthodoxe » (Faculté Jean Calvin, France), « moderniste » (Unil) et « public » (Stellennbosch, Afrique du Sud),
  3. et la possibilité de dialogue et compréhension entre des perspectives radicalement différentes (ayant souffert de l’impossibilité d’exprimer ma pensée et de me faire comprendre pendant une partie de mes études, et ayant été sensibilisé plus en profondeur à cette question dans le cadre de la situation de pluralisme culturel sudafricain).

Je propose ici quelques réflexions sur la nature de l’argumentation (ou pourquoi beaucoup d’arguments et attitudes ne font pas avancer le débat), sur quelques arguments problématiques utilisés dans le présent débat (ou comment embrouiller la situation en donnant son avis), et finalement j’avancerai une ligne que l’Église pourrait adopter sur la question (ou comment se faire rejeter par les partisans et les opposants). La question de la lecture de la Bible sera discutée dans un prochain texte.

Suite du texte: OKeshavjee — Argumentation Suite au Synode — v.1.0 (PDF, 152Ko)

Table des matières:

  • Introduction
  • Nature de l’argumentation
  • Quelques arguments surexploités 
    • « C’est (contre-)naturel ! »
    • « C’est ouvrir la porte au mariage pour tous et à l’adoption »
  • Conclusion et proposition
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14 commentaires

  • Cher Monsieur,
    Félicitations pour votre réflexion. Je ne suis pas en accord avec tout, mais vous offrez quelque chose de solide. Je n’interviendrai que sur un point. En introduction vous faites allusion à la logique russelienne donc binaire et classique. Ne serait-il pas intéressant dans ce débat de travailler avec une logique ternaire du type de celle proposée par Poincaré et l’intuitionnisme ? Cela permettrait d’introduire le 0 en plus du +1 et du ‑1 donc de suspendre son jugement dans une partie au moins de ce débat. Dans la suite de votre réflexion vous proposez effectivement ici ou là une telle attitude relevant du scepticisme. Je pense personnellement que l’Eglise doit suspendre son jugement en matière de rites et se centrer effectivement sur la libération gracieusement offerte aux pécheurs que nous sommes tous, le baptême et la Cène étant, en plus de la prédication de la aprole de Dieu (loi et évangile), les deux vecteurs « sacramentels » d’une telle proclamation.

    • Cher M. Kraege,

      Merci pour votre retour encourageant! Effectivement, une logique non classique est nécessaire, la plupart des questions ne se résolvent pas par « oui/non » (j’ai beaucoup médité ce point en voyant comment, en exégèse critique, on a de la peine à penser l’incertitude). Une logique plurivalente, comme par exemple la logique floue où les valeurs vont de 0 (faux) à 1 (vrai) en continu (avec une suspension de jugement à 0.5) est plus riche.
      (Petit détail: je ne mentionnais Russell ici que pour ce qu’il dit de la raison comme « force d’harmonisation et non de production de croyance », et non pour la logique utilisée dans ses Principia.)

      Sur le fond, je ne comprend pas encore assez bien toutes les logiques de l’institution, mais d’après le dernier communiqué du Conseil Synodal, il fallait que l’EERV adopte une ligne de conduite face aux demandes qui pouvaient jaillir de la part de couples partenariés. Pastoralement, que proposez-vous à un couple qui vient vous demander une cérémonie pour leur partenariat?

  • Cher Monsieur,
    quelques remarques globales sur ce texte bien à propos:
    1)Votre vision du dialogue en église, je la partage entièrement : elle constitue à elle seule une Réforme profonde de notre manière de vivre et de travailler en église.
    2) Vous êtes le premier que je vois capable dans ce débat de mentionner, de valoriser et de mettre en évidence le Gender Theory, je trouve cela essentiel pour un débat en profondeur
    3) Par moment, votre propre théologie et vos opinions transparaissent, mais enfin, littérairement vous l’assumez pleinement
    4) Avec vous, je suis convaincu que tant les hétéros comme les LGBT, s’ils s’approchent de la réalité spirituelle du Christ et se mettent à disposition d’un flux de Vie, doivent réciproquement bouger dans leur position. Le discours jouissif égoïste de certains milieux gay m’allucine et me désole, il va, je crois, dans le sens d’une société qui confond individu et Personne ( 😉 moi aussi j’ai quelques influences de théologie trinitaire.) De même, je n’accepte pas tel quel qu’on soit chrétien et gay et qu’on ne se questionne pas sur des pratiques sexuelles désincarnées ou schyzophréniques à la mode consumériste propre à notre société (et croyez-moi, ça ne me fait pas que des amis). Pour moi, la sexualité reste le lieu de l’intimité des personnes et non une drogue pour se distraire d’écouter Dieu.
    De même, réduire la sexualité à la reproduction n’a jamais vraiment bénéficié aux femmes hétérosexuelles.
    5) Je ne suis pas d’accord avec cette phrase : « s’ils avaient à choisir entre leur sexualité et un attachement au Christ Vivant, ne pouvant renier une
    partie si profonde de leur identité, ils choisiraient
    leur sexualité. » C’est réduire la Personne LGBT au sexe : choisir le Christ pour nous, c’est souvent choisir notre affectivité car c’est elle qui nous relie à ceux que nous aimons, que nous avons vu mourrir, à nos amis. Là AUSSI se trouve le Christ. Vous devez rectifier votre apriori sur notre orientation qui est globale, affective et sexuelle et notre identité qui n’est pas QUE sexuelle, mais sexuée et relationnelle. Vous pourriez tout autant vous questionner sur le nombre de fois que le Christ a été renié par les hétéros dans leur relation chosifiée à l’autre sexe. Peu d’hommes hétéros ont vu dans les femmes la souffrance du Christ et un certain nombre ont choisi de rester sourd à cette souffrance en la recouvrant de vernis chrétien. Le vrai risque est que nous pourrions avec tant d’autres personnes abandonnées dans leur réalité par des institutions ecclésiales veillissantes, choisir de les délaisser pour suivre le Christ là où il vit.
    5) Enfin, parlons du fondement biblique : vous mentionnez le « Sola Scriptura de la Réforme (c’est-à-dire qui ne place aucune autre tradition ou autorité au dessus des textes) ». La post-modernité et le Gender Theory mettent en évidence le discours dominant par-dessus le texte, qu’il soit biblique ou non, et dans le texte. Avant nous, la théologie féministe (E. Schussler-Fiorenza par exemple) ont mis en évidence une tradition patriarcale dominante, tant dans l’interprétation du texte que dans la formation du Canon biblique. Durant 2000 ans de christianisme, force est de constater que le discours est dominé par des hommes hétérocentrés et, souvent, homofobes. Donc (qu’on soit d’accord ou non avec les discours « hétérodoxes » des féministes et des gender théories chrétiennes), on doit questionner dans quelle mesure le Sola Scriptura lui-même n’est pas hautement problématique dans la tradition protestante, ce que d’ailleurs le catholicisme ne cesse de lui sussurer à l’oreille depuis 5 siècles. J’ose rappeler que c’est un principe extérieur, affirmé dans un contexte de crise et d’affrontement polémique. Il y a là peut-être un courage à avoir pour nous affronter à cette question qui excède, encore une fois d’accord avec vous!, les décisions superficielles.

    Merci énormément en tout cas de nommer les choses avec tant de vaillance et de bienveillance! J’espère que mes quelques remarques pourront servir à l’amélioration de votre texte.
    Alain Brouze, pasteur LGBT en congé sur la liste des ministres eerv

  • Bravo Olivier,
    Je suis admiratif devant ce texte, tu arrives vraiment bien à démonter la manière fausse de mener le débat. Je suis assez d’accord avec toi sur la lecture de la grâce seule, je partage pour un bout ta lecture des Ecritures.
    Par contre je pense que ce qu’il manque dans ce débat c’est la signification d’une bénédiction. Qu’est-ce que ça veut dire que Dieu bénit un acte, un amour et une personne. Est-ce que cela veut dire qu’il l’aime, est-ce que cela veut dire qu’il s’engage avec ceux qui s’engagent est-ce que cela veut dire qu’il le justifie?
    Pour poursuivre la réflexion:
    Que se passe-t-il dans la bénédiction d’un couple hétéro, qui « mentirait » au pasteur et qui en fait n’en a rien à faire ni de la spiritualité ni de la fidélité.
    Est-ce que Dieu « s’est rendu absent de cet acte et n’a pas confirmé la bénédiction donnée par le pasteur? » Est-ce que cette bénédiction de Dieu au fond a échoué dans son projet de venir en aide au couple? Ma difficulté c’est que selon mon avis, dans notre Eglise la bénédiction de mariage n’a pas la même signification pour l’ensemble des croyants et que donc un rite pour des couples de même sexe ne peut pas se comprendre et se différencier clairement car le rite « de base » n’est lui-même pas bien identifiable.
    Merci en tout cas pour ce bon article et bonne suite à toi, amitiés

  • Grand merci pour ce texte. Je dirais d’abord:

    a) Je me réjouis beaucoup qu’il y ait un peu plus de blogs de théologiens et de pasteurs francophones. La théologie, c’est une histoire de débats, pas de monologues. Donc bravo et merci.
    b) Texte touffu qui a le mérite de montrer les impasses dues à l’(in)suffisance des argumentations des uns et des autres. J’apprécie tout spécialement l’appel à l’écoute de l’autre et de tenter de suspendre des jugements qui viendraient a priori. D’un autre côté, on pourrait aussi se dire que c’est un peu trop confortable de se situer délibérément entre deux oppositions comme vous voudriez le faire 😉 .
    c) Je note (mais c’est ma lecture sélective à moi) le point trop rarement mis en avant que l’accueil inconditionnel de chacun/e en Eglise est déjà réalisé depuis longtemps dans le sacrement du baptême et de la cène. C’est juste de le rappeler et de le souligner, dans la pointe finale de votre texte. C’est cela, au fond le cœur de la proclamation de l’Evangile. Plus j’y réfléchis et moins je trouve nécessaire/utile de proposer un rite pour des personnes de même sexe indéfendable si on veut le fonder bibliquement.
    d) A propos de votre minute prophétique 😉 . La lecture de la théorie du genre (ou études du genre) et du « Trouble dans le genre » de Judith Butler — dont j’ai lu l’ouvrage-phare à défaut de l’avoir comprise — est évidemment indispensable pour des théologiens si on veut comprendre sur quels fondements théoriques se basent les militants LGBTQI (en attendant d’autres lettres de l’alphabet…). Cette théorie, comme toute autre, est appelée à être relue et dépassée (tout comme le sont les théologies féministes et contextuelles des années 60). Il ne s’agit pas de savoir « si on peut stopper cette déferlante » (p.5). Elle a beaucoup de faiblesses (déjà même sur le plan strictement biologique) et ne parvient pas à expliquer des différences radicales entre l’homme et la femme (par exemple, pourquoi 80–90% des autistes sont-ils des garçons? Pourquoi 9 détenus sur 10 sont-ils des hommes?). Dire que tout vient de la culture est une posture idéologique flagrante. Je vous renvoie à l’excellent numéro de « Books » (no 37, novembre 2012) qui aborde ce sujet de façon intelligente.

    Argutie sur un mini-détail : dans tous les débats sur la question que j’ai lue, il ne me semble pas avoir vu l’argument du (je cite) « dire « non » en Église pour affirmer un « non » en société » (p. 6). Ce que j’ai vu, c’est bien plus souvent « non » en Eglise à la différence du « oui » en société.

    On se réjouit de vous relire sur ce sujet ou d’autres!

    Cordialement,

  • Merci pour ce texte Olivier. Le développement est intéressant, mais je suis déçu de la conclusion: c’est un peu la montagne qui accouche d’une fourmi.
    Deux remarques.
    1) Sola scriptura ne signifie pas une lecture littéraliste, mais comme tu dis, que la tradition n’ait pas la primauté. Ce pilier de la Réforme dit de prendre la Bible mais cela n’indique pas encore comment il faut la lire (de façon symbolique, psychologique, littérale, autre). Parmi les arguments trop usités, j’aurais personnellement justement mis la Sola scriptura… Finalement, seule une lecture littéraliste peut prendre la sola scriptura comme argument.
    2) Si le critère est le fondement biblique, alors il faut questionner toutes nos pratiques… Pourquoi baptise-t-on les enfants? Le NT ne va pas franchement dans ce sens. Pourquoi ne pratique-t-on par contre pas le lavement des pieds clairement institué chez Jn?

  • Salut Olivier,
    A mon tour de te remercier pour ta contribution au débat et, surtout, la prise de recul que tu opères. Comme je m’intéresse aussi a la question de l’interprétation des Ecritures, j’apporte mon commentaire.
    Sola Scriptura, l’Ecriture seule, est un principe que les réformés aiment beaucoup et je ne crois pas qu’ils soient nombreux à y renoncer, dans leurs convictions du moins.
    Rien au-dessus de l’Ecriture, c’est très bien. Mais dedans, comment organise-t-on tous ces textes? Quel est le passage que l’on met en avant et oriente la lecture des autres textes? Car il n’est pas possible d’être d’accord avec toute la Bible en même temps. Pour la plupart, nous lisons l’Ancien Testament à la lumière du Nouveau, par exemple. Consciemment ou non, nous créons une hiérarchie entres les textes de la Bible. Selon quels critères?
    La Réforme a choisi un critère, que tu mentionnes aussi: la grâce seule. C’est avec ces lunettes qu’elle lit la Bible et donne aux textes leur importance: avec tout ça, l’épître de Jacques se trouve reléguée derrière Paul, un peu quand même…
    Ce critère est tiré de la Bible, mais nous aurions pu en choisir un autre tout à fait honnêtement.
    Est-il le seul critère que nous utilisions? J’ai bien l’impression que non. Plus ou moins consciemment, nous sommes habités d’une foule de critères, d’une multitude de lunettes. En lisant la Bible, nous ne pouvons pas résister à y chercher la justification de notre vie. Non pas seulement dans l’amour de Dieu, mais dans la recherche perpétuelle d’une approbation de notre conduite. Attitude très humaine, qui montre bien que nous ne sommes pas encore remplis de la justification apportée par Dieu.
    Ces lunettes, ces œillères que dis-je!, qui dirigent nos regards vers les textes qui nous conviennent sont difficiles à démasquer car elles ne sont viables que si elles jouent en souterrain, hors du contrôle de notre raison. Et nous voici à débattre de la Bible entre gens raisonnables alors que nous sommes tous pilotés en sous-main!
    Le débat qui nous occupe a vu jaillir des arguments violents. Selon moi, cette violence indique que les enjeux souterrains sont cruciaux. Quelque chose de central se joue et ce n’est pas la saine (et sainte) lecture de la Bible. Car, comme l’ont relevé plusieurs personnes, il y a des débats plus centraux pour la foi, des impulsions plus urgentes de la part de Dieu. Il en va probablement de l’identité des personnes en jeu.
    A juste titre, tu décris les pensées de l’être humain que nous sommes tous comme un réseau. Il faudra tenir compte du fait qu’une partie de ce réseau est explicite, argumenté, construit sur la foi et/ou la raison. Mais une autre partie de ce même réseau est souterraine, enfouie et nous manipule sans le dire. Nous ne sommes pas seulement illuminés par le St-Esprit, nous sommes aussi tordus par le péché. Aucune de nos lectures de la Bible ne peut s’en dépêtrer totalement. Si tous les lecteurs pouvaient s’en rendre compte!
    Au plaisir de lire la suite!

    • Je pense surtout qu’il y a deux lectures différentes de la Bible qui se complètent mais qui ne se confondent pas forcément, et que je décide de nommer édifiante et constituante. La lecture édifiante est celle de notre culte personnel, celle de nos prédications, celle que nous croisons dans des études bibliques ou ailleurs. C’est cette lecture qui nous bouleverse, qui nous fait lire le texte tel qu’il se donne à nous, comme un aiguillon hors du canon. C’est cette lecture là qui nous met face à un texte radicalement autre, pleinement appelé à être Parole de Dieu pour nous, qui nous fait changer, évoluer, grandir. C’est une lecture qui ne se préoccupe pas de méthode, ou en tout cas, qui ne laisse pas une méthode prendre le dessus sur un sens possible de l’Ecriture. C’est un peu la lecture du 3ème type dont parle Shafique dans son texte sur le synode égaré.
      Mais cette lecture est une lecture qui nous concerne nous, personnellement, et uniquement nous, dans l’intimité de notre relation à Dieu. À côté d’elle, pour ne pas dire en parallèle, se trouve la lecture constituante, qui permet à une église, une communauté, de se définir une certaine structure, une certaine éthique, certains dogmes (même si on a peur du mot), enfin bref, de se constituer, dans un esprit de renouvellement constant, toujours à réformer. Cette lecture là ne peut faire l’impasse du canon, elle lit chaque texte comme étant inscrit dans une certaine logique, dictée par l’orientation de l’Eglise. En église protestante, c’est justement, comme le dit Laurent, les cinq solas qui servent de lumière principale. Et l’EERV ajoute dans ses principes constitutifs que la Bible a pleine autorité et se lit à la lumière d’elle-même.
      Lorsqu’une assemblée constituante se réunit, c’est cette lecture qui prime car elle est la seule qui permet de discuter objectivement, sans trop mêler raison et sentiment (je me refuse à parler de foi parce que je ne prétends pas pouvoir en juger, et l’opposition n’est clairement pas là). Et le synode, qui doit légiférer certains points pour constituer l’Eglise à un temps t, sera donc plutôt enclin à suivre cette lecture là. Qu’on soit d’accord ou pas d’accord est un droit de chacun, mais le fait est que cela ne devrait pas tant engager l’individu, vu que c’est un effort collectif.
      Je pense que cette distinction, peut être artificielle, qui n’existe peut être que dans ma tête, est importante pour avoir des débats sereins. Cela devrait en tout cas permettre de dépasser certains blocages, certaines crispations. N’oublions pas que le concept du sola scriptura vient d’un texte non biblique, pour ne pas dire apocryphe!

      • Distinction intéressant, Etienne. Mais j’ai un peu de peine à me la représenter.
        Comment concrètement caractérises-tu la lecture constituante? Comment permet-elle de discuter « objectivement »? Quelles règles ou méthodes « objectives » donne-t-elle pour trancher les avis différents? Quel contenu détermine l’orientation, aussi? (les cinq solæ en eux peuvent être interprétés de 144’000 manières) Comment fait-elle pour passer au-dessus ou à travers de tous ces éléments enfouis en nous dont parle Laurent Bader qui orientent notre lecture? (questions sincères)

        Et surtout, s’il s’agit de la lecture que le Synode a mis en place, est-ce qu’elle a vraiment permis une objectivité? Les rapports des deux groupes favorables et opposants étaient complètement opposés, est-ce que c’est parce qu’ils ont suivi la lecture édifiante plutôt que constituante? Même si les débats au Synode étaient calmes, il n’y a pas eu de consensus atteint sur la lecture des textes clés, non?

  • En fait, je voulais surtout faire mon malin en amenant des nouveaux termes dans le débat 😛

    Plus sérieusement, il y a une prise de température (constituante) et une impulsion énergétique (édifiante, qui stimule et tempère). J’utilise le terme objectif pour dire qu’il faut pas y mêler trop d’affect. La lecture édifiante est le style de lecture qui débouche sur un « Moi je pense que blabla et telle position me remplit de joie ou me fait souffrir », ce qui amène à un débat qui doit mesurer la souffrance et la joie des uns et des autres pour tirer une conclusion. ça me paraît pas franchement malin. Il y a eu foule de commentaires qui disaient « Cette décision me fait souffrir alors je ne reconnais plus mon église », comme si notre rapport à l’église devait être en lien à nos joies ou nos peines, plutôt qu’en lien à l’autre et à la possibilité du vivre ensemble, et du partage des joies et peines.
    Comprise comme cela, la lecture constituante est une lecture qui va réfléchir à ce qui nous constitue dans notre prise de parole, et qui tente de rendre compte de notre insertion communautaire pour avoir une parole représentative d’une communauté à un instant « t » (c’est finalement ce à quoi est appelé tout délégué au synode). À mon sens, c’est une lecture qui dépasse les conflits de méthode et d’interprétation parce que justement, elle se positionne par rapport à elle-même afin d’entrer en dialogue avec une autre, pour réfléchir à la possibilité du vivre ensemble. Une lecture de type « fondamentaliste » et une lecture de type « libérale » clairement affiché ne devraient pas entrer en conflit, leurs conclusions devraient entrer en dialogue pour constituer quelque chose qui permet de renforcer le lien communautaire.
    Si une lecture dit « Le mariage c’est que pour les hétéro » et qu’une autre lecture dit « l’égalité de traitement est un signe d’amour », on reste à un niveau de lecture « édifiante » en ce que cela nous concerne dans notre affect, dans notre relation à Dieu qui se renouvelle de jour en jour et ne se pense pas immédiatement en lien avec la communauté et l’église. Par contre, dans une lecture constituante, les deux propositions plus haut peuvent se faire, mais doivent être pensées en lien avec le cadre interprétatif et en lien avec les principes constitutifs de l’EERV. La première proposition devra se positionner par rapport à l’accueil sans discrimination, la deuxième par rapport à la primauté de l’annonce de l’évangile sur le témoignage de l’amour.

    Je sais pas si je réponds à tout ou pas?

  • Salut Oliver,

    C’est toujours aussi intéressant de te lire, mais plus tu fais des études plus c’est complexe de te comprendre!!!

    Une question remarque: je te cite lorsque tu parles de la souffrance des homosexuels:
    « Pour beaucoup, cette souffrance n’est pas causée par leur identité intrinsèque, mais est due en grande partie par le fait qu’ils ne rentrent pas dans les catégories binaires de notre société. »

    Quelle réactions doit-on avoir face à cette souffrance?
    Est-ce le fruit d’une injustice? Est-ce dû à un « décalage » irréductible? N’y a‑t-il pas une illusion à croire qu’un couple homo ou hétéro peuvent être égaux? Ce sont deux groupes différemment composés, doit-il y a voir une égalité entre ces catégories?
    Un homosexuel à autant de droit juridique qu’un hétérosexuel, mais s’il constitue un groupe (couple), les individus qui constituent ce groupe vont forcément « paramétrer » les possibilités de ce groupe (ex: enfanter). S’il est sans doute possible et attendu des chrétiens de lutter contre une discrimination ou persécution des homo et autres, n’est-il pas illusoire de leur promettre une égalité?

    Note: dans le droit français, le mariage et la filiation (droit des enfants et devoir des parents) sont liés. Donc le droit au mariage ouvre directement la question de l’adoption ou procréation. A moins de refondre complètement ce qu’est le mariage. D’où le lien et l’argument de l’adoption (en tout cas pour la France).

    • Cher Tim, merci. 

      Effectivement, il faut que j’apprenne à écrire simplement. Je crois que je vais faire plus d’études dans ce domaine 🙂

      Mon point était qu’une partie de leur souffrance au moins vient de ce qui leur est imposé de l’extérieur, et pas d’un irréductible. Et si cette partie là peut être réduite, pourquoi s’en priver?

      Je ne crois pas avoir parlé d’  »égalité ». Cette question est difficile: quelle égalité?

      Comme le rappelais sauf erreur Maître Eloas dans un de ses billets, les hétéros et les homos sont actuellement traités en France de manière parfaitement égales: ils ont exactement les mêmes droits, peuvent se marier sous les mêmes contraintes (18 ans révolus, un homme et une femme éloignés au 3e degré ou moins, quelque chose comme ça). Juridiquement, il n’y a pas d’inégalité. Au niveau du ressentit, par contre, un hétéro peut se marier avec la personne qu’il aime, un gay ne le peut pas. Mais la loi ne regarde pas les émotions des citoyens. Pour paraphraser MacIntyre: « La justice de qui? L’égalité selon qui? »

      Du coup le discours de l’égalité est un peu confus. Parfois c’est une revendication pour un traitement égal, parfois une revendication pour un traitement différent. 

      Je ne crois pas qu’il s’agisse de « promettre l’égalité ». Mais est-ce que si un couple ne peut pas enfanter (à cause d’un décalage irréductible), il ne ne doit pas pouvoir adopter non plus? (Cela me semblerait problématique)

      Je ne nie pas le lien entre la question du mariage et de l’adoption, bien sûr. Je reprochais uniquement l’instrumentalisation du religieux pour le politique: chez nous, c’est la question de la bénédiction en église du couple partenarié qui était en jeu, et je m’opposais à certains qui disent: « Non [en église], PARCE QUE la prochaine étape sera l’adoption [dans la société]. » Sous-entendu: « non » en église, sinon il faudra dire « oui » en société. Je pose la question de savoir si l’église peut avoir sur cette question un discours différent à l’interne et à l’externe (comme on le fait sur la liberté de religion: dans la société chacun est libre de croire ce qu’il veut [et je me battrai pour ça], mais dans l’église nous croyons en Jésus-Christ fils de Dieu [et je me battrai pour ça]). Et là on revient à la question qui est posée chez vous: est-ce que l’église ne pourrait pas dire « non pour la bénédiction en église, mais oui pour ceux qui le veulent dans la société » ?

      (J’explore une voix que je n’ai pas entendu ailleurs, et je ne demande qu’à ce qu’on me montre qu’elle ne tient pas la route).

      Bises à Camille et Manoah !

  • Bonjour,

    merci pour cet article, qui met au clair pas mal de non dits dans les débats (je ne connais pas ceux au sein de l’EERV, mais je suis ceux en France en ce moment). Quelques remarques :
    — n’étant pas protestant, je n’adhère pas à l’affirmation de la radicalité du pêché et de la nécessité de la grâce. Mais la encore, question de paradigme.
    — je suis extrêment sceptique sur l’utilisation du terme « gender theory » qui est bien souvent un fantasme construit de toute part par les opposants. Voir les séries d’articles de Anthony Favier sur la « théorie du genre » http://penser-le-genre-catholique.over-blog.com/article-la-querelle-autour-des-nouveaux-manuels-de-biologie-de-1ere-iv-79504692.html
    — concernant la question de la benediction, exprimée en conclusion :
    -* dans une benediction d’un couple de même sexe, ce qui serait béni serait non pas l’homosexualité (de même qu’une benediction de couple marié ne bénis pas l’heterosexualité) mais un projet de vie, basée sur une alliance. En ce sens, en partant de votre postulat que ne saurait être bénis que ce qui rentre dans le projet de Dieu, on pourrait bénir les couples de même sexe.
    -* en outre, qu’attendons nous par projet de Dieu ? les seuls témoignages que nous avons (en partant du Sola Scriptura) sont des cas individuels. Si le projet de Dieu pour Abraham était qu’il est une descendance, que pouvons nous dire à partir de cela dans les cas plus particulier ? Toute bénédiction prononcée par l’Eglise ne vient-t-elle prendre la place de Dieu ?

    • Cher Maïeul,

      Merci pour ces remarques.

      Sur la question du projet de Dieu, vous posez de bonnes questions, mais on part sur une question de théologie biblique qui met en jeu plus d’éléments que ce que ce commentaire permet de débattre. 

      Sur la gender theory, vous avez raison. C’est un sujet que j’ai très peu étudié, et j’en ai parlé sur la base de mes souvenirs de cours et d’une conférence de Judith Butler (donc pas des opposants dans mon cas, mais j’imagine sans peines « les fantasmes construits de toute part »). Même ma traduction en « théorie du genre » me semble mauvaise (cf. http://cafaitgenre.org/2013/01/02/la-theorie-du-genre-nexiste-pas/).

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