Est-ce que Dieu s’est planté avec moi?

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Ce que je n’ai pas raconté dans ma métamorphose, c’est que ma venue à St-Jacques était de l’ordre d’un appel, très fort, comme cela ne m’est jamais arrivé. La conviction d’être appelé dans ce bâtiment spécifique pour une mission spécifique. Et les portes se sont ouvertes, des gens se sont mobilisés, des fruits ont poussés.

Jusque-là, on pourrait dire: c’est clair, c’est Dieu qui conduit !

Mais finalement, et en très peu de temps: c’est la catastrophe. Conflits, blessures, traumas, ruptures, gaspillages. Tout s’effondre.

Comment relire ce parcours spirituellement? Comment faire le lien entre la conviction et l’échec?

J’avoue que pour moi, ce n’est pas vraiment une question qui m’a préoccupée existentiellement. Mais puisqu’on me l’a posé plusieurs fois, je partage quelques éléments de réponse personnelle.

Est-ce que je me suis planté? Dieu n’appelle pas?

Est-ce que, simplement, Dieu ne parle pas, n’appelle pas? Ne donne pas des missions spécifiques?

Est-ce que je me suis planté de théologie?

Le problème c’est que Dieu, tel que révélé dans la Bible et par Jésus, parle. C’est même une de ses caractéristiques fondamentales par rapport à d’autres cultes ou spiritualités contemporaines. Dieu est un sujet, un interlocuteur, un acteur: il agit, il met des gens en mouvement, et la Bible est plein de récits d’appels. 

Et ces récits ne sont pas généraux: « Moïse, je te nomme libérateur, maintenant gère ton cahier des charges comme tu veux. » Au contraire, il me semble que souvent Dieu n’appelle pas à un titre, mais à une tâche, une mission spécifique:

  • « Viens Moïse, on va libérer mon peuple, voici comment tu vas faire. »
  • « Venez les gars, au lieu de pêcher des poissons on va pécho des humains, suivez-moi je vais vous montrer comment. »
  • « Excusez-moi de vous déranger pendant que vous priez, mais mettez à part Paul et Barnabas, j’ai un service à leur demander. »

Bref, Dieu parle, Dieu appelle, Dieu donne des missions. Pas tout le temps, certes, et on a pas besoin d’attendre que Dieu nous envoie un ange pour nous dire d’attacher nos lacets. Mais parfois, M vient nous voir et nous confie une mission très spécifique.

Et c’est pour moi une des choses qui rend la spiritualité chrétienne passionnante.

Est-ce que je me suis planté? J’ai mal entendu ?

Que j’aie fait des erreurs dans le ministère, c’est évident, là n’est pas la question. La question est au niveau du discernement.

Dieu donne parfois des missions spécifiques, soit.

Mais est-ce que j’ai mal discerné? Est-ce que dans mon cas, il n’y en avait pas et j’ai simplement pris mes désirs pour des décrets divins? Une technique de déresponsabilisation largement répandue, bien connue, et face à laquelle personne n’est à l’abri.

Ou est-ce que Dieu m’appelait à autre chose, et que j’ai mal compris? Est-ce que c’était à un autre moment, ou un autre lieu?

Je ne suis pas du genre à entendre Dieu parler partout. Une telle expérience ne m’était jamais arrivé comme ça. Et comme j’ai le doute facile, j’en ai douté beaucoup. Mais j’ai pris le temps de la retraite et de la prière. J’ai essayé de me dire « c’est rien, ça va passer, oublie » — ça restait. J’ai pris le temps de laisser mûrir, j’en ai parlé avec d’autres. Non seulement cela produisait des choses en moi — joie, créativité, rêves — mais cela produisait des choses similaires chez d’autres avec qui je parlais.

Et, plus prodigieux encore, cela s’est traduit très rapidement en termes institutionnels: alors que j’avais flashé sur le bâtiment sans rien connaître de la réalité paroissiale, et sans avoir la vue d’ensemble des dispositions cantonales, ma demande d’aller dans ce lieu a été accueillie avec bienveillance et approuvée à plusieurs échelons.

Et puis il y a eu toutes les rencontres providentielles, les synergies, les activités qui se sont déployées. Les fruits qui ont commencé à se faire voir, dans des domaines variés: écologie, diaconie, évangélisation…

La joie.

Pour moi, cette histoire ne ressemble pas à une erreur de discernement.

Est-ce que d’autres se sont plantés?

Je pourrais chercher à distribuer le blâme sur une quantité d’acteurs et actrices: de la paroisse au canton, en deçà et en delà.

Mais ce serait trop facile. 

Et ça ne serait pas fécond. Je ne suis responsable devant Dieu que de moi-même: ma théologie, mes rêves, mes choix, mes chutes.

Certes, je vis cette responsabilité dans le contexte de la réalité institutionnelle, culturelle et personnelle qui est la mienne. Mais pour moi, cette réalité est un décor dans lequel j’évolue, et sur lequel je n’ai pas prise autrement que par ce que je fais.

Ainsi même si d’autres acteurs et actrices se sont plantés, dans un sens et pour la question du discernement, cela ne me regarde pas.

C’est entre Dieu et elles et eux.

Est-ce que Dieu s’est planté?

Alors venons-en à Dieu.

Si Dieu m’a adressé une mission, et que je l’ai bien compris, est-ce que lui s’est planté ? Est-ce qu’il y a eu erreur de casting, et qu’en fait cette mission aurait du être confié à quelqu’un·e de plus adéquat? Ou est-ce que l’affaire a été mal accompagnée par le conseil céleste, et que Dieu devrait revoir son management?

Dans la théologie du process — une théologie d’inspiration scientiste très en vogue aujourd’hui — Dieu chemine dans l’histoire sans agir dessus, il est affecté par les événements du monde, et inspire plus qu’il ne contrôle. Dans cette perspective, Dieu aurait peut-être inspiré un rêve, mais on aurait échoué toutes et tous à sa réalisation — Dieu y compris.

C’est une lecture, mais ce n’est pas ma vision de Dieu. Pour moi, je trouve plus riche et intellectuellement satisfaisante une image un peu plus classique de Dieu. D’un côté (ontologie — Dieu tel qu’il est en soi), Dieu est sage, bon, juste, puissant, au volant, et il assure. Mais ça nous échappe. De l’autre (économie — Dieu en relation avec nous), Dieu chemine avec nous, comme le Christ nous le révèle: il appelle, confronte, donne des missions, se laisse interpeller, parfois change d’avis.

Donc, on évite ces deux extrêmes:

  1. Dieu fait des erreurs, il chemine avec nous, cherche à nous conduire vers la liberté, il se donne de la peine — et il en a, le pauvre.
  2. L’histoire est la réalisation parfaite de la volonté prescriptive de Dieu, tout ce qui arrive reflète le caractère de Dieu (il serait alors assez mauvais, ou assez méchant).

Est-ce qu’on peut donner sens à cela? Est-ce que c’est même cohérent? Deux métaphores qui tiennent en tension ces deux aspects. Comme toute métaphore, elles ont leur limites.

  • Dieu est Parent: comme parent, son souhait est de voir grandir et se développer ses enfants. Ce qui implique de créer des espaces sécurisés où il est possible de se planter. Mais il veille à ce qui se passe. Nous laisser nous planter est un signe de confiance et d’amour. Cf. Hébreux 12.5ss (à contextualiser un peu).

  • Dieu est Conteur: il raconte une histoire — dont il est au contrôle puis qu’il la raconte. L’histoire est un peu particulière puisque le Conteur est un des personnages. Et cette histoire est faite de rebondissement, d’échec, de clashs, de souffrance. Pas parce que le Conteur aime les échecs et les souffrances, mais parce ces éléments contribuent à raconter une histoire épique, et que le Conteur aime son histoire, qu’il raconte avec brio jusqu’à son aboutissement. Cf. Philippiens 1.6.

Conclusion: Dieu m’a planté !

Dans cette perspective, je pense pouvoir affirmer sincèrement:

  • Que Dieu m’a effectivement appelé à St-Jacques.
  • Que nous avons bien discerné cet appel.
  • Que l’échec fait partie du chemin.

En effet, pédagogiquement (métaphore du Parent), j’ai tenté de marcher, je suis tombé. Je prends le temps de récupérer, sous le regard bienveillant du Père qui m’encourage, j’en tire des apprentissages, et je me relève pour retenter un autre pas un peu différent. C’est une démarche agile. J’apprends, l’Église apprend. Victoire.

Et narratologiquement (métaphore du Conteur): c’est vraiment ok d’avoir pour moi cet échec fondamental dans mon parcours: c’est une étape dans mon arc narratif, qui contribue à une histoire épique dont je ne suis pas le héro. Et ça, franchement, c’est hyper classe. Même si mon rôle n’est que d’être un redshirt dans l’histoire de Jésus — ça me va !

Et on en vient au cœur du truc. Ce questionnement, Jésus pourrait se le poser à Pâques: est-ce que Dieu a un plan pour lui? Est-ce qu’il a bien entendu? Pourquoi est-ce que ça foire si rapidement, alors que tout était si bien partit? Est-ce que c’est un échec de la mission?

La croix, folie et puissance de Dieu, fait partie de la mission.

Un des textes fondateurs pour mon ministère à St-Jacques était Philippiens 3, et j’ai régulièrement prié les versets 10 et 12:

Je veux connaître le Christ, et la puissance de sa résurrection, et la communion de ses souffrances. Devenir conforme à lui dans sa mort, pour parvenir — si je puis — à la résurrection d’entre les morts.Philippiens 3.10–11

Il n’y a pas de résurrection sans mort.

On ne porte pas de fruits si on est pas prêts à être planté.

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1 commentaire

  • Moi non plus, je n’entends pas DIEU partout. Mais j’étends la petite voix en moi qui m’oriente sur ce qui est bon et ce qui est mauvais. Parfois le tumulte des voix humaines proches prend malheureusement le dessus et je me plante… mais un conteur met du sens dans ce que je ne comprends pas.
    Moi qui suis du troisième âge, j’étais vraiment heureuse de l’élan qui se dégageait à St-Jacques alors que tu y étais.
    Le troisième âge qui fréquente encore les églises, les assemblées et les conseils… conseils qui débordent d’intransigeance, d’intolérance ou de peur face aux nouveaux projets !? Quelle place laisse-t-on aux autres générations ? Quelle compréhension pour la nouvelle génération ? Quel geste pour ceux qui ne connaissent pas l’évangile ?
    Comme je fais partie d’une minorité et que j’ai déménagé, j’ai pu observer trois communautés différentes ces deux dernières années. Et partout, je ressens le même malaise. L’une, tu la connais. Dans les deux autres, tiraillement et peu ou prou de spirituel. Chez les uns, des violences verbales en assemblée générale à en faire pleurer l’une ou partir l’autre. Chez d’autres, j’ai replongé dans les rites remontant à mon enfance, sans approfondissement ou peu de concrétisation du message de Yeshoua. Il me semble entendre son dernier cri : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonnée ? »
    Cependant, je m’accroche à l’activité déployée chaque année sans appui des décideurs, mais avec des amis loyaux, car là, je suis utile, donc ‘je prends ma casserole et je marche’ ! 

    *

    Comme tu parles le langage du commun des mortels, tu peux te faire entendre par eux. Je te fais donc confiance pour la suite que j’attends patiemment, que tu sois planté à Leysin ou ailleurs !

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