Nous avons eu le plaisir, hier soir, d’inviter tous les bénévoles de la paroisse à un repas servi par l’équipe pastorale.
Heureusement que la majorité n’a pas répondu à l’invitation, car la salle principale du foyer de paroisse était déjà remplie ! Ce fut pour nous l’occasion de nous réjouir profondément d’être dans une paroisse où tant de gens donnent de leur temps, de leurs dons, de leur argent et de leur vie pour construire l’Église de Jésus-Christ. Un réel bonheur ! (Cette soirée fut aussi pour moi — ministre des salades — l’occasion d’apprendre que polenta et taboulé sont deux choses bien distinctes.)
Vient maintenant le temps de l’interrogation. Quel climat favorise l’implication des laïcs? Quelles attitudes vont au contraire décourager l’engagement bénévole?
Lors de la journée Une Eglise qui croît, Perrine D., présidente du Conseil Presbytéral de la paroisse de la paroisse du Marais à Paris, a offert quelques clés intéressantes. Qu’est-ce qui va faire qu’une personne qui arrive dans cette paroisse aura le désire d’y servir? Chacun et chacune qui participe à la vie de la paroisse a une idée de ce qu’est l’Église, comment elle fonctionne et à quoi elle sert. Le rôle des responsable est de conduire la communauté à développer une vision qui nous semble biblique de la nature de l’Église. Cela implique une part de déconstruction (y compris parmi les responsables évidement), et une part de reconstruction.
Quelques remarques préliminaires:
- Nous sommes pleinement conscient, à Corseaux-Corsier (ma paroisse), que nous n’avons aucune raison de nous enorgueillir de cette grande famille de bénévoles. D’une part, c’est Dieu qui appelle, et d’autre part, nous sommes bénéficiaire d’un travail sur plusieurs générations dont nous ne faisons que cueillir les fruits. Nous ne pouvons qu’être reconnaissants (en particulier moi, qui tombe là-dessus comme un cheveux sur la soupe).
- Motiver les gens à servir dans la paroisse n’est pas le but ultime. Notre rôle, en tant qu’Eglise, est de rendre témoignage au Christ tout autour de nous. Celles et ceux parmi nous qui n’ont pas de ministère dans la paroisse en ont eu en dehors: aimer et servir leur foyer, leurs voisins, leurs collègues, etc. Il n’y a pas de hiérarchie des services — il y a même un danger d’égocentrisme ecclésial si la paroisse n’a pas la vision d’être tournée vers l’extérieure. Nous souhaitons que la communauté soit suffisamment forte pour être témoin de l’Évangile (et donc il faut que des gens s’y impliquent), mais sous voulons éviter à tout prix que tout le monde ne s’occupe que de la communauté !
- L’attitude dans laquelle nous servons est fondamentale. Jésus ne nous appelle plus serviteurs, mais amis. C’est en tant qu’amis que nous servons. Si une attitude de service révèle le caractère de Dieu (Jésus est venu non pas pour être servi mais pour servir), une mentalité de serviteur est une négation de l’Évangile! Dieu nous reçoit comme ses enfants, pas comme ses esclaves. Entre nous, c’est parce que nous voulons nous honorer réciproquement (comme filles et fils de Dieu) que nous avons de la considération les uns pour les autres, et une disposition au service.
- Finalement, « ministère » ne signifie rien d’autre que « service » (via la traduction latine du grec diakonos — qui donne accessoirement le mot « diacre »). Indépendamment des théologies des ministères propres à chaque Église (et la question de leur reconnaissance publique, consécration, etc.) je pars du principe que chaque croyant·e est appelé·e à servir, et donc à exercer un ministère — quelque soit la forme et l’envergure dudit ministère (a.k.a. « sacerdoce universel »).
Ce qui suit est une mise au propre de mes notes de la conférence de Perrine D., que j’agrémente ci et là de mes réflexions. Il ne s’agit donc pas per se de la pensée de Perrine D., mais bien de ma compréhension et des idées que cela a suscité en moi.
6 attitudes à déconstruire
Voici 6 lieux de vigilance, qui n’encouragent pas le développement des charismes des individus, et qu’il s’agit de repérer et déconstruire dans la paroisse.
1. Une vision pyramidale
Le pasteur est le modèle, la référence, le moteur. Tout passe par lui.
Rien de tel pour encourager les gens à ne pas s’impliquer, à ne pas se voir comme des pierres vivantes fondamentales à l’édifice.
Ici, en tant que réformés, nous avons probablement un lourd héritage difficile à abandonner.
2. Une mentalité de mérite
Une idée répandue est que pour avoir un ministère, il faut le mériter (être bon, être fidèle, être compétant, ou être un contributeur important…).
Bien sûr, Dieu fait avec ce que nous sommes, mais la Bible ne manque pas d’exemples de gens incompétent que Dieu appelle à des tâches qui les dépassent. Le ministère est un don, une grâce, et Dieu nous y équipe réellement.
Peut-être que si untel est banquier, il aura les capacités de s’occuper des finances de la paroisse. Mais peut-être qu’il rêve d’autre chose et que sa place est ailleurs…
3. Une mentalité de couteau-suisse
Plutôt présente chez les responsables, c’est l’idée de la personne à tout faire. « Il faut quelqu’un pour s’occuper des enfants, ce n’est pas mon charisme, mais je vais le faire — je suis payé pour ça. » Et donc du coup je vais tout faire. Et du coup personne n’a la place pour s’engager.
Je crois qu’il est crucial, comme le dit mon père, d’apprendre à reconnaître, admettre et développer « ses domaines d’incompétences ».
4. L’individualisme
Forteresse de notre époque, l’individualisme nous pousse à voir l’Église comme un endroit avant tout pour moi, pour me faire du bien. Je suis plus conscient de mes besoins et de ma relation à Dieu que des besoins qui m’entourent et de ma relation à la communauté. Et donc je vais plutôt avoir tendance à attendre d’être servi, qu’a servir.
5. L’activisme
L’idée que ma motivation, ma fidélité et donc ma valeur se mesurent à mon engagement. Pour être un meilleur chrétien, ou un meilleur être humain, je dois m’engager plus, donner plus de moi. Inutile de dire qu’une telle attitude est une négation propre en ordre de l’Évangile (ma valeur ne dépend pas de moi, mais de ce que Jésus a fait pour moi, et du regard que Dieu me porte en Christ).
6. Le laïc collaborateur du pasteur
En quelque sorte le pendant du couteau-suisse. Le laïc est là pour trouver une place dans un système existant, pour boucher les trous des besoins dans la paroisse. Le risque est présent quand on réfléchit en termes de besoins de la paroisse plutôt qu’en termes de charismes des chrétien·ne·s. « On a un besoin ici, et un autre là. Lequel vous parait le moins pénible? »
Cela peut fonctionner un moment sur la bonne volonté ou la volonté de plaire au pasteur, mais pas plus.
5 caractéristiques d’une culture favorisant à l’engagement
Que reconstruire à la place? Quelle atmosphère valoriser pour encourager le foisonnement des ministères de chacun·e?
Il ne s’agit pas de recopier des modèles qui fonctionnent dans la société: l’offre est trop bonne à l’extérieur, ils n’ont pas besoin d’autres choses. Notre appel en tant qu’Eglise est de déveloper une culture différente, sous la souveraineté de l’Esprit qui vit parmi nous.
1. Regarder les gens en Christ
Les responsables sont invités à poser un regard de discernement sur les paroissiens, discerner ce que l’Esprit dit sur eux. Pas juste demander: quelle est sa formation, quelles sont ses capacités.
Il se peut bien sûr que ce que les responsables voient n’est pas ce que la personne voit elle-même. Si c’est le cas, on s’est trompé, ou la personne n’est pas prête, et on continue le discernement des deux côtés.
Mais il arrive aussi souvent que les deux discernements (du paroissien et des responsables) s’alignent — et que le résultat soit une surprise d’un côté comme de l’autre!
2. Libérer les gens pour entrer dans leur appel
La paroisse du Marais a développé un accompagnement spirituel innovateur, qui rebondit sur l’égocentrisme de notre culture (le travail sur soi qui s’éternise et ressemble parfois à du nombrilisme). Le but est de prendre les gens là où ils sont, les mener dans un chemin de libération intérieure qui les détourne d’eux-même pour les faire avancer et s’engager dans la mission de Dieu.
Il y a bien sûr la nécessité d’un temps et d’un espace de soin. En fait, le soin des individus reste une priorité de l’Église. Mais le but est de ne pas rester coincé dans sa blessure, mais d’avancer pour pouvoir se mettre à servir (et peut-être soigner) à son tour.
3. Une culture de la collectivité
En tant que chrétien, sous sommes participatifs de quelque chose de plus grand que nous: l’œuvre du Dieu de Jésus-Christ dans le monde. Et ce sentiment nous met en mouvement. Chaque paroisse a un rôle spécifique à jouer dans cette œuvre.
Il s’agit donc d’avoir une vision claire, en paroisse, et de la communiquer. Une vision qui passionne et motive (littéralement: met en mouvement) — sans quoi les gens n’ont pas de raison de s’engager.
Mais il ne s’agit pas d’utiliser les autres pour qu’ils servent notre vision. Au contraire, la vision n’est jamais définitivement figée: elle est bannière de ralliement, mais elle évolue en fonctions des gens qui s’y rallient.
4. Flexibilité: offrir la possibilité d’évoluer dans son ministère
Cela peut être particulièrement éprouvant: on n’a pas forcément envie de changer une mécanique qui fonctionne, mais forcer des gens à entrer dans des cases qui ne leur conviennent pas (ou ne leur conviennent plus) est une stratégie perdante (en plus d’être méprisante).
Offrir de la flexibilité implique d’être prêt à refaire en permanence les équipes, accepter de changer des programmes bien huilés, etc. Et cela implique aussi d’oser arrêter certains ministères si on a personne pour les alimenter.
5. Accentuer la dimension relationnelle
L’Église est avant tout espace de relations (avec soi, Dieu, la famille chrétienne, l’ensemble de la société, etc.). Il s’agit donc de privilégier les relations sur les programmes. Les activités sont aux services des personnes, et pas l’inverse.
Cela implique de créer des espaces de relations, ces lieux où des choses se passent, se mettent en place, sans qu’on les y pousse. Pour cela, veilleur à ce que chacun·e se sente en lien avec une petite communauté dans la communauté (et pas juste avec le conseil ou le pasteur).
Concrètement, cela peut être à travers des groupes de maisons, des repas, des tournois de pétanques, etc.
Voir aussi:
- C’est pas la taille qui compte, mais quand même! (dynamique des communautés en fonction de leur taille)
Merci pour cette synthèse intéressante 🙂
Pour prolonger la réflexion, voici quelques «ingrédients» de base qui, selon mon expérience, ont favorisés le développement, puis permis le maintient d’une communauté vivante (en l’occurrence celle de St-Blaise/Hauterive dans le canton de NE).
Former sans formater. Dispenser des formations «sur le tas» permet d’asseoir les fondements de la communauté qui en profite, et affermit les liens interpersonnels. Les bénéficiaires sont ainsi «outillés» pour assumer des responsabilités de groupes tout en grandissant personnellement dans le domaine spirituel.
Encadrer sans étouffer. Il importe de doter les responsables de groupes d’une structure qui les sécurise et qui leur permet de prendre confiance en eux. Cela évite de les jeter prématurément «dans le bain» sans références, au risque de les «griller».
Déléguer sans «laisser aller». Une personne à qui une responsabilité est confiée ne doit pas être livrée à elle-même. La personne «déléguante» est tenue d’assurer un suivi de la tâche et de ne pas «s’en laver les mains».
Créer ensemble. Le chemin (et la façon de le parcourir) est aussi important, si ce n’est plus, que le but que l’on cherche à atteindre. Il importe d’éviter la routine pour maintenir vivant le dynamisme inhérent à la création de projets, d’activités, etc. A noter que pour créer il faut de l’espace: à la fois espace physique (locaux) et espace de liberté (pouvoir initier des choses nouvelles)…
Se construire en construisant. Le travail en équipe profite à la réalisation personnelle. Le partage en lieu de vie paroissial développe corollairement la vie intérieure, «en individu».
S’hydrater à des sources multiples. L’ouverture à des formes de spiritualités autres et la rencontre de communautés vivant leur foi de façons différentes (sœurs catholiques, communauté orthodoxe, etc.) génèrent enrichissements mutuels et réappropriation de ses fondements spirituels.
Se diversifier sans se perdre. Le protestantisme est constitué d’une multitude de sensibilités théologiques. Cette diversité doit non seulement être respectée, mais intégrée pour consolider la structure paroissiale.
S’ouvrir et se recentrer. Chacun doit identifier et faire respecter son point d’équilibre personnel de manière à ne pas être broyé par la rigidité d’un cahier des charges emprisonnant. La découverte de cet équilibre est facilitée par une itération entre l’ouverture aux attentes communautaires et un centrement sur les nécessités vitales de la personne.
Dialoguer en vérité. La paroisse ne doit pas conforter le «théologiquement correct» mais offrir des espaces de dialogue permettant l’authenticité de la personne.
[…] suisse Olivier Keshavjee, agrémentée de ses réflexions – publiée sur son blogue – de la conférence d’une ancienne présidente du conseil presbytéral du Temple du Marais […]