Le danger mortel de la louange contemporaine

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Le danger mortel de la louange contemporaine

Le mouvement contemporain de louange et adoration (praise & worship) est une réelle bénédiction pour l’Église. Que personne n’en doute. Notamment, il rend facilement accessible une approche de Dieu émotionnelle, mystique, en complémentarité à l’approche rationnelle plus commune en modernité. Personnellement, par exemple, c’est grâce à des temps de louange que j’ai appris à reconnecter avec mes émotions.

Mais ce mouvement amène avec lui son lot d’effets pervers, et parmi ceux-ci, le risque de tuer l’adoration. Aussi paradoxal que cela puisse paraître. Je m’explique.

À force d’appeler systématiquement et exclusivement les blocs de chants des « moments de louange » ou « d’adoration », on crée dans la tête des chrétiens une équivalence entre « chant » et « louange / adoration ». Adoration = Chant. Chant = Adoration. Du coup si je veux adorer Dieu, je dois chanter. Et si je chante, c’est pour louer Dieu.


Premièrement, donc, on donne l’idée que le chant ne sert qu’à adorer Dieu. D’où que la plupart des chants contemporains sont adressés à Dieu. Le fait de chanter à Dieu, de prier en chantant, est certainement attesté dans les Écritures. Par exemple « Que la parole de Christ habite parmi vous abondamment; … chantant à Dieu dans vos cœurs sous l’inspiration de la grâce. » (Col 3.16) Ou encore: « Et ils chantent … le cantique de l’agneau, en disant: Tes œuvres sont grandes et admirables, Seigneur Dieu tout-puissant! Tes voies sont justes et véritables, roi des nations! » (Apo 15.3)

Ce faisant, on passe sur toutes les autres dimensions du chant. Par exemple: « Que la parole de Christ habite parmi vous abondamment; instruisez-vous et exhortez-vous les uns les autres en toute sagesse, par des psaumes, par des hymnes, par des cantiques spirituels. » (Col 3.16) Ou encore: « Et ils chantent le cantique de Moïse. » (Apoc 15.3, cf. Dt 31.30–32.47) Le chant peut être adressé à soi-même (« Mon âme, bénit l’Éternel »), aux autres chrétiens pour exhorter ou enseigner, ou aux nations — pour leur chanter les louanges de Dieu, comme un grand nombre de psaumes, ou pour les interpeller. Bref, on perd une grande partie de la dimension performative du chant, sur nous ou les autres.

Et même lorsque l’on chante en s’adressant à Dieu, c’est donc principalement sur le mode de la louange et de l’adoration. Et on a perdu d’autres modes, par exemple celui de la complainte — le fait d’apporter à Dieu sa souffrance et son épuisement.

Bien sûr, on peut trouver (heureusement!) des chants contemporains qui rentrent dans toutes ces autres catégories que j’ai mentionnées. Mais il s’agit d’exceptions. Et je discute ici surtout de ce qui est véhiculé par le fait d’appeler « temps de louange » ce qui est en réalité un « temps de chant. »


Mais plus important, on donne l’idée que l’adoration et la louange se limitent au chant. D’une part, et c’est la moindre, on cloisonne la louange au fait de chanter à Dieu. Pratiquement, dès que l’on veut vivre un temps de louange, on pense musiciens. Et s’il n’y a pas de musiciens? On est bien embêté. On ne développe pas la louange par nos prières, ou la capacité de prier les psaumes ou d’autres textes de la Bible, ou tout autre moyen corporel ou artistique d’exprimer notre louange à Dieu.

D’autre part, et c’est beaucoup plus grave, par notre terminologie confuse entre « chant » et « louange / adoration », on tend à cloisonner l’adoration au fait de chanter à Dieu. Mon adoration, c’est de chanter à Dieu, et si possible vivre quelqu’expérience mystique de sa présence, culminant peut être dans un chant en langues. Et non pas de vivre une vie totalement consacrée à lui — émotion, volonté, pensée.

De fait, on risque même de détacher l’adoration du Christ et de son œuvre rédemptrice en nous. Théologiquement, le Christ a révolutionné l’adoration: plus de rites, plus de sacrifices, plus de temples ou de lieux saints, plus de système de prêtrise (Jean 4, 19–24). Il est l’Adorateur, celui dont la vie était entièrement consacrée à Dieu, pleinement soumise et libre en lui. Et nous, chrétiens, par notre baptême, nous sommes unis au Christ. Notre adoration, c’est de nous efforcer par l’Esprit à ce que nos vies reflètent le Christ et son adoration. C’est tellement plus que chanter, même si chanter en fait partie. Si bien que l’on considère les 30mn de « louange et adoration » pendant le culte comme notre culte d’adoration. Et non plus l’écoute et l’application de la prédication, l’eucharistie, la manière dont on salue celui qui est assis à côté de nous, ou notre manière de conduire pour venir au culte. Mon adoration pendant la semaine, c’est si je prends un moment avec un CD de louange dans ma chambre. Et non pas le fait de veiller sur mes pensées et mes paroles, de témoigner de l’amour à mes voisins, ou de travailler comme pour le Seigneur. On risque bien de cloisonner l’adoration à un petit, tout petit, domaine de la vie: le chant.

Ainsi, la terminologie contemporaine risque bien de tuer l’adoration, de faire de l’Église un peuple de chanteurs plutôt qu’un peuple d’adorateurs.


Le chant est plus que la louange et l’adoration.

La louange et l’adoration sont plus que le chant.

Et si au lieu de parler de « temps de louange » on parlait simplement de « temps de chant », puisque c’est de ça qu’il s’agit?

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18 commentaires

  • Ahh — tellement d’accord avec toi. Je te remercie d’avoir les mots pour dire explicitement une confusion que je ressentais intérieurement.
    Notons par exemple une autre utilisation du chant: la méditation: cf les psaumes psalmodiés, les chants de taizé, les litanies orthodoxes, etc. D’ailleurs, la chrétienté n’a pas été la seul spiritualité a découvrir l’utilité du chant dans ce domaine, loin de la!
    Et puis: si j’adore la glace, je peux dire que je l’adore même si je ne suis pas en train d’en manger. Même chose pour le seigneur: tu as tout à fait raison de souligner que nous sommes appelés à adorer dieu de tout notre être.
    David.
    Ps: je tenais a te remercier pour ton message du culte de pâques. Le regum podoclastem ma directement parler au cœur. Je fais parvenir le lien a ma tante malade, je suis sur que le trouble-défaite lui faire du bien.

  • Il y a certainement un effort pédagogique à faire pour rectifier le tir, notamment dans la liturgie. 

    Par exemple, dans une église de Paris, on reprend le principe du dialogue entre celui qui préside et l’assemblée pour symboliser le dialogue entre Dieu et son peuple. Ainsi, trois éléments du culte sont présentés comme des réponses de la part du peuple dirigées vers Dieu pour lui témoigner notre acceptation reconnaissante de sa grâce : les chants, les offrandes et la confession de foi. Parfois les chants et la confession sont antiphonés. 

    Et encore, tout comme l’ensemble peut être qualifié de louange (et même en dehors du culte), l’ensemble pourrait être qualifié d’offrande (et même en dehors du culte). Il faudrait peut-être se montrer moins timide sur les termes : un chant est un chant et un don financier est un don financier.

  • Merci pour cette synthèse devenue nécessaire tant les mots louange et adoration sont devenus synonymes du temps de chant le dimanche matin. On remarque d’ailleurs que cela a pour effet de déplacer le temps fort du culte à ce moment de chant et à dévaloriser la prédication, puisque cette dernière n’est pas (plus adoration) et devient donc inférieure à l’adoration de Dieu !

  • J’ajouterais que dans certaines églises — principalement évangéliques — le chant est « accompagné » par des orchestres au volume sonore insupportable. Non seulement cela ne porte pas à la louange, mais cela engendre des sifflements dans les oreilles.

  • Merci pour cet article. 

    Dans la mesure où le chant à aussi un rôle d’exhortation, voire d’instruction (pour reprendre Col 3:16), serait-t’il préférable que des théologiens prennent soin d’écrire les chants ? Il me semble que c’était le cas dans les débuts de l’église réformée. Et qu’aujourd’hui c’est bien souvent les grand ministères de louange qui s’en chargent avec plus ou moins de réussite.

    Dans son récent ouvrage, Philippe Gonzalez observe que les chants influencent le contenu des prières spontanées et vraisemblablement aussi la conception théologiques des croyants. Il semble en outre plus que plausible que le chrétien moyen retienne mieux ce qu’il chante (presque tous les dimanches) que les prédications qu’il n’entend une fois…

  • Très intéressant ton article. Je suis complètement d’accord avec toi. Mais il et intéressent de constater que le problèmes été inverse il y a une 30ene d’années ou le chant été plus un moyen d’attendre les retardataires qu’un vraie moment d’adoration.QDTB

  • Bonjour, merci pour cet article, mais pour ma part je ne suis pas tout as fait d’accord avec vos propos. Pour moi la louange doit etre utilisee jusqu’a atteindre un moment ou l’adoration est possible ( pourquoi pas en gardant le silence a ce moment la) et même doit nous conduire a l’accès au charismes. Après dans mon groupe, on sépare les soirée de louange/ des cultes.

  • J’irai même encore plus loin! La louange contemporaine crée deux choses en plus:

    Premièrement en plus de cloisonner les « temps de louange » elle cloisonne aussi le style de louange. J’ai des connaissances qui croient encore que la louange est un style de musique, ou que sortir du style pop rock contemporain est un compromis au Diable… Oui nous sommes tombés bien bas.

    Deuxièmement l’invitation hebdomadaire a « entrer dans la présence du Seigneur » ou « a entrer dans le lieu très saint ». Suis-je le seul de ses assemblées a avoir lu le passage ou le voile se déchire et a penser que du coup plus rien n’est profane et que tout est sacré dans ma vie!?

    Et une petite troisième qui me vient en écrivant mais qui mériterai peut-être plus d’approfondissement et de réflexion est le thème du business de la louange.

    Bref, ce que l’institution (et non l’Eglise) a fait de la louange m’attriste réellement, en tant que musicien et aussi en tant que chrétien affirmé.

  • Jn 4,20–24 Nos ancêtres samaritains ont adoré Dieu sur cette montagne, mais vous, les Juifs, vous dites que l’endroit où l’on doit adorer Dieu est à Jérusalem.»
    Jésus lui répondit: <>

  • Effectivement @olkesh il était un peu tard et Emmabuel semblait semblait souffrir d’un gros rhume. Ce papier m’a particulièrement touché car il pose de bonnes questions. J’anime et j’enseigne la louange dans les églises depuis pas mal d’années. Au début, à la fin des années 70 les orchestres de louange étaient très effacés, transparents, parqués en marge de la scène. Les instruments étaient mal vus, mondains. Mais surtout, il n’y avait pas de chantres, pas de responsables de louange, juste un ou plusieurs musiciens. La louange était suscitée par l’assemblée. Le défi du musicien était de capter en quelle tonalité le chant démarré de la salle et le jouer, dans n’importe quelle tonalité. Bon exercice de modulation. Parfois, c’est un numéro qui était proposé et le mieux était de connaître un maximum de chants, sous peine de panne. Pour faire court, la louange appartenait à la grande chorale présente dans la salle de réunion. Redde caesari quae sunt caesaris: JEM est arrivé avec l’idée de proposer des chantres qui conduisent la louange, un orchestre, des choristes et surtout une liste de chants préparée en avance: une révolution difficile à mesurer aujourd’hui par une génération plus jeune. La question que je pose, ne serions-nous pas allé trop loin dans ce modèle ? Les chantres ont-ils piqué la louange à l’église ? Serait-il temps d’y réfléchir et de sortir de l’excès pour revenir à l’équilibre ? Ou mieux de redonner la louange à l’église… Un auteur, Bob Sorge, le suggère dans un petit bouquin juste courageux que je vous recommande pour la poursuite de votre excellente réflexion http://www.jem-editions.ch/euro/index.php/suivre-le-fleuve.html

  • merci, c’est interressant…

    j’aurais aussi precisé qu’on parle à tort et à travers d’adoration sans se souvenir ‑ou meme savoir- ce que signifie, originellement « adorer »… dans ces mouvances on croit qu’adorer est chanter avec emotion…
    Or « adorer » n’a rien à voir avec l’emotion, meme si il n’est pas exclu ni problematique que l’emotion survienne lorsqu’on adore.… Adorer signifie grosso-modo : reconnaitre la seigneurie de quelqu’un (« proskyneo » en grec, ou un truc dans le genre)… point n’est besoin ni de chanter, ni de mettre les yeux en accent circonflexe, ni, à l’instar des prophetes de Baal, se taillader l’ame jusqu’à ressentir « un truc », provoquer un etat de quasi-transe… Non ; adorer c’est, tout comme les rois mage, se presenter et se prosterner devant Celui que l’on considere comme Le Seigneur, confesser et montrer que l’on reconnait son autorité… De cette confusion sur la signification du terme « adorer » vient aussi les jugements du monde protestant qui pense que les « autres » adorent la vierge Marie et les saints, alors qu’en fait , ils ne les adorent aucunement, ils les prient, ce qui à la lumiere de cette explication est tout à fait different… mais c’est un autre debat. Bises en Christ.

  • article intéressant. Belle réflexion sur la différence entre la louange/adoration et le chant. « Et nous, chrétiens, par notre baptême, nous sommes unis au Christ » j’ai du mal à comprendre le sens de « baptême » dans cette phrase pour parler d’appartenance à Christ.

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