« Quels sont les points communs entre pasteurs et pingouins? »
- Les pingouins ont un air très digne — et en même temps parfaitement ridicule
- Ils sont sensibles à la chaleur
- Ils sont menacés par des ennemis dangereux
- Ils sont relativement sans défenses
- Ils ont un instinct de retour à la maison
- Quoi qu’il leur arrive, les pingouins gardent la tête haute
Un bouquin qui compare les pasteurs et les pingouins — j’ai tout de suite su que c’était écrit pour moi. N’empêche, il a traîné dans ma bibliothèque pendant des années… Et puis grâce à une pandémie et un burn-out j’ai trouvé du temps pour lire — et effectivement c’était pour moi — et pour maintenant.
The Penguin Principles1 est un petit livre de 80 pages qui présente des situations de ministères fictives pour illustrer 6 principes que les auteurs ont appris dans leurs ministères réels. Tout ça dans un subtil mélange de réalisme brutal, de confiance en Dieu et d’humour.
Mes notes de lecture ci-dessous. Mais avant cela, quelques effets de cette lecture pour moi actuellement:
- Mon expérience actuelle de l’Église est partagée par d’autres. Je ne suis pas seul. C’est bête, mais dans un burnout il y a toujours cette petite voix qui dit: « est-ce que c’est moi le problème? » Alors oui, en partie. Mais manifestement, pas uniquement. Et peut-être même pas principalement.
- Elle me ramène à une anthropologie réaliste calvinienne, qui reconnaît que tout être humain est profondément pourri… pas juste certains qui sont méchants, « eux », alors que « nous » on est du bon côté. J’avais fonctionnellement mis de côté cette anthropologie parce qu’elle n’est pas tout à fait dans l’ère du temps. Mais pratiquement c’est la seule que je connaisse qui éclaire correctement la réalité.
- Elle me ramène à une vision plus réaliste de l’Église. J’aspire à une église qui est un lieu d’humanité, d’humanisation. Mais la réalité est plus brutale, plus aliénante.
- Ces principes poussent à regarder la réalité en face. Ce qui mène à deux choses, parce que la réalité est double: planifier, et prier. Planifier, pour faire face et prendre en compte de manière lucide à ce merdier2 qu’est la réalité humaine. Prier, pour faire face et prendre en compte la merveilleuse réalité divine. L’une sans l’autre ne mène à rien.
- Au nombre de fois que le mot « réalité » revient ci-dessus, je vois que ces dernières années je me suis trop focalisé sur la vision, l’idéal à atteindre, ou l’exigence de l’évangile.
Mes notes, ci-dessous, retranscrivent peut-être une partie du contenu du livre. Pas de la forme, cependant, qui est à la fois légère et sérieuse.
Table des matières
Avant-propos
Notre culture comprend un nombre important de personnes qui aiment faire culpabiliser les autres et trop peu d’adultes qui peuvent rire d’eux-mêmes et de leurs faiblesses. La dimension la plus visible de ce déséquilibre est la surabondance d’adultes qui tirent un plaisir considérable d’une grande variété d’efforts pour faire culpabiliser leur pasteur d’être moins que parfait. (p. 7)
Celleux qui sont sans fautes et sans le moindre défauts de charactères feraient mieux de ne pas lire ce livre — leur innocence est à protéger.
Ce livre est pour les autres, qui:
- croient que l’humour est un don de Dieu,
- sont suffisement mature pour rire d’elleux-même,
- préfèrent chercher de la sagesse plutôt que des coupables,
- aiment l’église malgré ses défauts,
- aiment Dieu et ses enfants.
Préface
Parallèles pingouins / pasteurs:
- Dignité et ridicule: la tâche est glorieuse, mais le travail au quotidien est souvent risible.
- Sensible à la chaleur: besoins de mécanismes pour se rafraîchir.
- Ennemis perfides qui rôdent: celleux qui vivent longtemps sont celleux qui apprennent à marcher prudemment.
- Sans défenses: à part agiter les ailes peuvent pas faire grand chose; veulent pas blesser les gens.
- Instinct de retour: les pingouins se repèrent en suivant le soleil (sun); ils sont perdus dans les jours de brouillards. Les pasteurs suivent le Fils (Son), et tournent en rond dans les jours spirituellement brouillardeux…
- Gardent la tête haute: quoiqu’il arrive, leur dignité vient d’ailleurs.
Les principes qui suivent ne s’applique pas uniquement aux pasteurs. Il s’agit de traits humains → ils s’applique à tous ceux qui travaillent avec des humains.
Avez-vous été « largué » dernièrement ? Vous êtes-vous retrouvé avec la frustration, la culpabilité, le doute de soi et la colère de l’expérience ? Alors le temps est venu pour vous d’arrêter de vous apitoyer sur votre sort, de vous redresser avec dignité, de lever le nez en l’air et de vous dandiner dans la bataille avec le Pingouin de Paroisse. (p. 13)
1. Le Principe des 5 %
Malgré toutes les belles choses que nous professons, à tout moment donné, dans tout groupe de l’Église, moins de 5% des gens fonctionnent avec une motivation purement chrétienne. Les 95% restants demandent : « Qu’est-ce que j’ai à y gagner ? (p. 17)
L’Église n’est pas un groupe de gens biens intentionnés, bienveillants, qui ne cherchent qu’à servir leur prochain en témoignant de l’amour de Dieu.
Un jour quelqu’un demanda à un pasteur:
– Combien avez-vous de membres actifs dans votre église?
– 100, répondit le pasteur. 50 pour moi, 50 contre moi.
Luther aurait écrit:
Les défauts d’un prédicateur sont vite espionnés. Qu’il soit doté de dix vertus et n’ait qu’un défaut, et ce défaut éclipsera et obscurcira toutes ses vertus et ses dons, tant le monde est mauvais en ces temps. (cité p. 19)
Celui qui désire l’oreille du public doit supporter la bouche du public. (p. 19)
Ce n’est pas qu’il y a deux catégories de gens: les bons et les mauvais. Et qu’il y aurait 5% de « bons » et 95% de « mauvais ». Mais 100% d’entre nous opère de manière égocentrique 95% du temps.
Qu’est-ce qu’on peut en faire? Pas grand-chose, à part en être conscient. Permet d’avoir un peu de détachement quand on est face à toutes les petitesses de la vie d’église… Et de remercier Dieu pour les 5%.
Ce regard lucide sur la nature humaine permet aux Pingouins de Paroisse de se dandiner à travers la vie, le cœur tourné vers Dieu et les ailes ouvertes pour embrasser leurs compagnons. (p. 27)
L’important: au lieu de désespérer pour les 95%, rendre grâce à Dieu pour les 5% !
2. Le Principe de la Perspective Inverse
La plupart du temps, dans le monde de l’Église, les choses ne sont pas ce qu’elles paraissent être. (p. 28)
Ce que les gens disent ne reflète généralement pas ce qu’on pense ou ressent réellement. Les actions envoient un message plus fiable.
Quand quelqu’un vous dit « oui », ça ne veut pas forcément dire « oui ».
De manière générale, souvent:
- On ne dit pas ce qu’on pense, on ne pense pas ce qu’on dit
- On entend généralement ce qu’on a envie d’entendre, et on ignore le reste
- Les succès sont parfois des échecs, les échecs des succès
- Les temps difficiles peuvent être les plus profonds
- Parfois on fait plus en faisant moins
- Rendre service ne rend pas toujours service
- Les déserts peuvent être des lieux d’abondance
- etc.
Pingouins de Paroisse, avancez lentement, prudemment. Écoutez au-delà des mots que les gens prononcent. Recherchez à décrypter le message derrière le message. … Essayez de rester alignés aux voies paradoxales de Dieu. (p. 36)
3. Le Principe de la Friction Ecclésiastique
Il y a des frictions dans l’église qui brûlent énormément d’énergie, consomment des heures interminables, étouffent la créativité, entravent le progrès. Et donc ça chauffe souvent pas mal. (p. 41)
Conseils sans fins, discussions mal organisées qui ne produisent pas de résultats… Plus il y a de gens qui s’impliquent pour faire avancer une bonne idée en église, plus cela va lentement.
L’inefficacité des conseils est généralement proportionnelle à leur taille.
Quand tu frottes trop d’idées nouvelles dans une paroisse, tu es généralement celui qui se fait brûler. Les paroisses sont comme des élastiques: il y a une limite dans laquelle elles peuvent bouger, mais quand ça va trop loin, ça casse. Et généralement, c’est toi qui casse.
Parfois vouloir rajouter une structure de plus pour aider créé plus de problèmes que de solutions…
Les bonnes idées se font avaler par la machine, et quand elles en ressortent — si elles en ressortent — elles ne ressemblent plus beaucoup à l’idée d’origine. Alors que le défi est d’introduire un changement dans la vie des gens pour devenir Église, témoin serviteur de l’amour de Dieu. Les comités sont très forts pour annihiler ça, et en faire quelque chose qui nous ressemble, nous rassure et nous sert nous-même.
Confusion entre « mouvement » et « agitation »: on peut faire plein d’activités et donner l’impression d’une paroisse vivante — mais en réalité on construit une machine, on ne fait pas avancer la mission de Dieu. On fait les choses pour nous, pas pour servir le quartier et le monde.
Beaucoup de paroisses ne visent rien, et l’atteignent. (p. 44)
On peut parfois (mais avec sagesse, responsabilité et compassion) utiliser ça à son avantage: utiliser des conseils pour parquer des gens ou des idées bizarres…
Quand on regarde en face la réalité de l’église, ce ne sont plus les échecs qui sont étonnants, mais les réussites ! (p. 46)
Puisque tout est mis en place pour que ça foire, chaque réussite — aussi petite soit-elle — est une victoire à célébrer !
Rappel: Dieu nous appelle à être fidèles, pas à avoir du succès.
4. Le Principe de l’Ignorance Créative
Dans le ministère, il est préférable de ne pas savoir faire certaines choses — même s’il faut les oublier de force. (p. 52)
Quand on est compétent dans un domaine, ça peut être plus utile de ne pas le faire savoir:
- afin de ne pas se rendre indispensable
- afin de permettre aux autres d’utiliser et développer leurs dons
- afin de ne pas fatiguer / énerver les autres
- afin de ne pas s’épuiser en se dispersant
- …
C’est l’histoire d’une communauté qui demande à l’évêque que son prochain pasteur ait les qualifications suivantes:
- Qu’il ne parle pas le grec
- Qu’il ne sache pas chanter solo
- Qu’il n’ait jamais été en terre sainte.
Le meilleur don de Dieu pour l’église: un pasteur paresseux.
Éphésiens 4: le pasteur n’est pas là pour faire le job du peuple; le peuple n’est pas là pour aider le pasteur qui fait le travail. Le pasteur est là pour aider le peuple à faire son travail de témoin.
5. Le Principe de la Mise au point
Ils ne vous le feront que si vous les laissez faire. (p. 61)
Nombre de ministres usés, épuisés, accusés…
« J’ai l’impression d’avoir été invité à faire partie de cette chaîne de commandement, de sorte que lorsque la chaîne se brise, vous pouvez me désigner comme le maillon le plus faible. » (p. 64)
Attentes irréelles, traitement injustes, demandes irritantes, reproches injustifiés… Les gens vont maltraiter le ministre d’autant plus si le ministre les laisse faire, se laisse marcher sur les pattes.
Parfois, quand les choses vont particulièrement mal, le ministre peut avoir l’impression d’une conspiration contre lui. La paranoia pastorale ne paie pas:
« Quand un pingouin se fait se fait presque avaler par un phoque léopard, c’est pas une conspiration contre le pingouin en question… c’est simplement la vie… » (p. 66)
C’est pas personnel, mais c’est réel. Qu’est-ce qu’on peut faire?
- Leur dire comment on ressent les choses
- Lever la tête avec la dignité du pingouin, et passer à l’offensive: demander ce dont on a besoin (plutôt que de subir)
Ça va pas forcément tout résoudre, mais ça peut aider.
Mettre de côté les « j’espère-qu’ils-m’apprécient », et laisser les gens assumer leurs responsabilités. Être clair dans sa tête ce qui est « mes » responsabilités et ce qui ne l’est pas; mes idées foireuses et leurs idées foireuses; mes échecs et leurs échecs, …
À l’image de Dieu: il nous laisse assumer les résultats de notre stupidité.
La critique, comme le poison, ne nous blesse que quand on l’avale. (68)
Arrêter d’assumer le rôle de la victime, lever la tête. Se rappeler que le plus grand chêne était un jour un gland qui a simplement tenu son terrain.
6. Le Principe du Pasteur
Le principe ultime pour les pasteurs est un « amour coriace » qui regarde au-delà de l’irritation du moment et qui, dans la force du Christ, aime les gens tels qu’ils sont. (p. 74)
Les moutons ne sont pas ces créatures tendres et aimables des dessins du culte de l’enfance. Non seulement ils s’égarent dans tous les sens, mais ils sentent fort, sont têtus, se plaignent quand la nourriture n’est pas selon leurs attentes… Être un berger demande d’être coriace.
Un pasteur, quand il était énervé par ses paroissiens, les imaginait dans un cercueil à leur service funèbre. Permet de remettre en perspective les trucs blessants, et regarder à travers toute la couche humaine pour poser un regard compatissant et aimant.
L’amour coriace permet de regarder au-delà du masque d’humanité pour voir le tampon de l’image de Dieu. Permet ce qu’aucune arme connue par l’homme n’a jamais fait: faire de tes ennemis des amis.
Les 5 premiers principes parlent de la réalité. La réalité est dure. Regarde là en face, planifie ta stratégie avec soin. Ce sixième principe ne peut pas être appris comme ça, c’est un don de Dieu. Dieu est la source de l’amour coriace.
Si Dieu est resté avec moi et m’a aimé à travers tout ce que je suis, mon histoire, toutes mes limites et mes aberrations passées — c’est que son amour est coriace.
Le Principe du Pasteur n’est pas appris en introspection, en formation de leadership, en technique de management ou autre.. mais dans la contemplation de l’amour de Dieu en Christ pour moi. Dieu est là, dans les frustrations, les jours pénibles, les semaines d’angoisse.
Le savoir, l’expérimenter, y croire, là est la puissance pour résister au besoin de se défendre soi-même quand les autres amassent sur toi reproches, accusation et toutes autres formes perverties de déchets ecclésiastiques. Être saisi par le bras puissant de l’amour du Christ donne le courage de faire avec la force ultime, « l’amour coriace », source de compassion renouvelée chaque jour en Jésus-Christ. « Nous aimons parce qu’il nous a aimé en premier. » (1 Jean 4, 19) (p. 80)
Prendre exemple sur les pingouins: ils ne peuvent nier la dure réalité et prétendre vivre dans un monde rose — sous peine de mourir de froid ou dévoré. Avec leurs compagnons, ils développent des stratégies pour rester en vie et prendre soin des petits. Malgré les vents glacés, ils se tiennent la tête haute, avec une certaine « dignité venue d’ailleurs ».
Comme les pingouins, on peut se tenir droit dans la dure réalité impitoyable de l’église, et marcher la tête haute, avec une dignité qui vient d’en haut (Col 3) pour faire face aux vents glacés de la paroisse avec un « amour coriace » qui vient de Dieu.
Alors que cet amour est reçu d’en haut et transmis, tes accusateurs sont dépassés. Ils ne peuvent pas résister. Alors que l’amour de Dieu les bombarde, leur défense s’effondre, leurs accusations perdent leur force, leurs langues sont changées en caoutchouc, leurs oreilles débouchées, leurs yeux s’humectent, et leurs cœurs de pierres s’animent. Voici la qualité explosive de l’arme ultime, « l’amour coriace », « le Principe du Pingouin. » (p. 80)
(Note de moi: un peu de peine ces temps à croire simplement à cette dernière partie. L’amour du Christ peut certainement nous aider à tenir et à aimer en retour. Et certaines personnes se remettent en question et reprennent vie. Mais d’autres semblent imperméables… Est-ce qu’on change vraiment?)
Que notre Seigneur renouvelle tes forces, qu’il te soutienne et t’affermisse ! Sois richement béni, rappelle-toi l’amour si parfait de notre Seigneur envers nous en tout temps !
Merci 🐧❤
Merci pour l’image des pingouins, qui change de celle du troupeau de chats…
Merci pour l’amour coriace, belle expression.
Merci pour la réflexion anthropologique. Je m’étonne moi aussi de plus en plus que l’on s’étonne que les chrétiens sont encore des êtres humains.
Merci Eric pour ce retour !
J’ai lu avec grand plaisir t’es commentaires et réflexions.
Précieux pour quelqu’un qui commence sa suffragance!
Merci et courage. Il n’y a pas que l’amour de Dieu. Il y a aussi les autres pingouins qui t’aiment.
Merci Tamara !
Bon début de suffragance 🙂
Cher « théologeek », heureux de vous relire et merci pour cette recension. Pas encore d’édition en français ?
En vous souhaitant une pleine restauration, comme de rester « béni de toutes bénédictions spirituelles en Jésus-Christ » cf Eph.1, (PS : j’ai apprécié vos commentaires/messages sur cette épître essentielle)
Fraternellement,
Pep’s
[…] plus avancés pour ne pas refaire les mêmes erreurs. Je ne dois plus me faire avoir en croyant celleux qui disent qu’ils sont mes alliés, mais me fier à leurs actions. Et j’ai besoin d’avoir des vrais backups. Que ma guilde, qui m’envoie en mission, soie […]
[ Quand quelqu’un vous dit « oui », ça ne veut pas forcément dire « oui » ]
Lors de mes quelques voyages en Asie, je me suis aperçu que les autochtones répondaient fréquemment par un « OUI » souriant, alors que ce n’était pas forcement un « OUI ». J’ai fait le même constat dans le canton de Vaud, mais sans le sourire !
Ahah, effectivement ! Ou parfois le sourire est là, mais il est tellement hypocrite que j’en ai encore des cauchemars… brrr !
Pour l’Asie, je me rappelle de mon premier voyage en Inde et les confusions liées au hochement de la tête inversé dans certaines régions. On a beau le savoir, quand quelqu’un hoche constamment « non » pendant qu’on lui parle, ça fait bizarre, même s’il hoche en réalité « oui ».