L’EERV vient de publier sur son site une page Pour une lecture honnête de la Bible. Sans surprises, on y retrouve le dogme critique resservi de la même manière navrante, à nouveau… Ma réponse à chaud:
Non, l’honnêteté intellectuelle n’implique pas nécessairement l’axiome de Semler ou la « critique » historique. L’honnêteté intellectuelle implique une réflexion de fond sur cet axiome et cette « critique », et pas une affirmation autoritaire et simpliste comme c’est le cas ici.
Non, il ne faut pas rejeter les lectures dogmatiques et fondées dans des traditions, sans quoi il faudrait aussi rejeter la lecture « critique » qui est fondée dans une tradition, et comporte des « dogmes ». Aucun discours même scientifique ne peut éviter ce statut.
Non, la reconnaissance de l’altérité du texte n’implique pas la nécessité de nier l’inspiration littérale a priori. La reconnaissance de l’altérité implique au contraire d’accepter l’inspiration littérale ou l’inerrance si ceux-ci découlent du texte (et de les rejeter si ils sont contraires au texte); le respect de l’alterité du texte implique de rejeter l’axiome de Semler si celui-ci est nié par les textes.
Non, une lecture honnête de la Bible pourrait devoir exiger une certaine disposition intellectuelle, morale ou spirituelle de son lecteur. Il n’est pas possible d’exclure a priori qu’un lecteur chrétien verrait dans les textes quelque chose de plus fidèle aux textes que ce qu’un lecteur d’une autre croyance verrait. À moins d’être objectiviste (je demande une introduction à la philosophie des sciences pour les théologiens) et de nier l’herméneutique (je demande des cours d’herméneutique obligatoires pour les étudiants en théologie).
Ce texte est un conglomérat d’incohérences (je demande l’introduction d’un cours de logique élémentaire pour les théologiens !), et d’arguments d’autorités.
Dis, EERV, on pourrait pas avoir une discussion posée et intelligente sur ces sujets, pour une fois, en reprenant les choses avec des regards plus frais ? Ou vous voulez continuer à nous prêcher du remâché jusqu’à qu’on finisse par l’avaler ?
Pour aller plus loin:
- La résurrection et la foi de l’historien: un cas pratique qui met certains de ces enjeux en lumière.
- « La théologie critique est parfois intégriste »: les apparences sont parfois trompeuses.
- Michael Polanyi et la connaissance personnelle: l’arrière plan épistémologique nécessaires pour comprendre ce texte.
Ce qui est intéressant, c’est de voir que l’idée de départ du texte, l’Écriture seule, n’est absolument pas remise en contexte; pour une approche (qui se dit) critique, c’est bien faible.
Autre point intéressant, le joyeux magma de mots mal définis et/ou polysémiques. Si c’est voulu, c’est de la malhonnêteté*; sinon une incompétence crasse.
* Et le lecture admirera ma mise en abyme 🙂
Une partie de l’arnaque dans le texte de l’EERV, c’est qu’on fiat appel à la notion de vérité, tout à fait biblique, mais qu’on l’investi d’une définition rationnaliste. Le texte fiat appel à un ou deux texte-preuves pour la notion de vérité, mais l’investi d’une vision contemporaine (ou dépassée d’un siècle seulement) de la vérité. En matière d’interprétation tenant compre du contexte d’époque, c’est zéro pointé!
Merci pour ton poste, sans cela je serais passé à côté de l’article l’EERV.
Dans l’ensemble, je ne juge pas cet article trop négativement: plusieurs précisions sont nécessaires et utiles et les réactions que nous mettons en avant viennent finalement d’abord de connaisseurs critiques que du paroissien lambda (donc non-théologien) que je considère comme le lecteur-cible. Dans l’ensemble, je partage parfaitement les critiques formulées et en complète quelques unes:
A. Le point dit d’y aller sans a priori alors que le 3 explique que tous les livres de la Bible n’ont pas la même importance (pauvre Lv qui finit toujours discriminé)… Si ce n’est pas mettre une ornière tel que le point 1 disait de l’éviter, j’aimerais qu’on m’explique.
B. La Bible entièrement accessible par la raison; ah bon? On a visiblement stagné depuis les Lumières du coup… Ça en dit long sur l’approche que l’auteur du texte fait de la théologie puisqu’il réduit finalement les textes bibliques fondement de la foi (la sola scriptura initiale) à la raison humaine. En matière d’altérité revendiquée, on fait mieux!
C. Points 4–5: qu’est-ce qu’un texte de littérature universelle? J’aimerais qu’on me donne une définition précise. Ensuite, la Bible en est-elle vraiment un? Au fond, soyons honnêtes, elle a été dans un contexte qui n’est pas universel. Même si une partie de l’AT et probablement l’ensemble du NT a une portée universelle, on part d’un point précis historiquement ancré et non d’une idée accessible à tous sans détour par la culture (contexte rédactionnelle, histoire de la réception, sans compter que le lecteur – même le contemporain savant – sera toujours influencé par le contexte dans lequel il lit).
Cependant, je ne partage pas totalement ta critique sur un point. L’article dit finalement de ne pas conditionner la lecture par un dogme et sur ce point, je ne peux que donner raison. Prenons l’exemple de l’annonciation (Lc 1,26–38). En prenant la mariologie, on en oublie finalement que la naissance virginal en dit davantage sur Jésus que sur Marie. Le dogme a sa place, mais en aval de la lecture et non en amont. Là, je ne peux pas donner tort à l’auteur. Par contre, je te rejoins sur le fait que la lecture critique sans a priori mise en avant est une chimère et qu’elle n’est pas en droit de disqualifier toutes les autres. Une lecture chrétienne peut être plus fidèle (sans l’être nécessairement), mais je complèterais en mettant aussi en avant une lecture juive parfois plus savante du contexte juif au sein duquel l’AT et NT ont été rédigés.
Je rejoins aussi tes remarques sur le manque de formation dans le cursus théologique en herméneutique et en logique. L’herméneutique manque pour montrer la pertinence toujours actuelle des textes bibliques alors qu’un peu de logique permettrait une théologie qui ne casse pas la gueule trop vite.
Merci Nicolas pour ce commentaire détaillé ! Tu relèves bien les incohérences du texte, que j’ai eu la paresse de lister, bravo.
Je précise sur le dogme, mais il me semble qu’on est grosso modo d’accord : puisque aucune lecture n’est sans a priori, comment peut-on décider à l’avance quels seront les meilleurs présupposés pour orienter la lecture? On ne peut pas le discuter dans le vide, avant de lire les textes, parce que cette discussion aussi serait conditionnée par des a priori, et la question se pose à l’infini*, sans rien nous dire des textes. Le seul moyen de décider, c’est de le faire a posteriori, de confronter la lecture par exemple de l’annonciation telle qu’éclairée par la mariologie, par l’exégèse critique (qui a aussi ses dogmes), par une théologie de la libération, par une théologie de l’histoire du salut, par une lecture juive, athée, existentielle, militante, dans la souffrance, etc. En examinant ces différentes lectures, chacun pourra évaluer en toute honnêteté quelles sont celles qui semblent le plus juste, le plus riche, etc. (Cette évaluation ne se fera bien sûr pas dans le vide, sans a priori.)
Les dogmes sont déjà en amont de la lecture; il faut les reconnaître, pour permettre au texte de les modifier en aval si nécessaire, mais pas les interdire. Sous la plume d’un lecteur « critique », interdire les dogmes en amont revient à interdire tous les dogmes sauf ceux de la lecture « critique », ce qui interdit aussi au texte de les interroger, et rend la lecture aussi constipée qu’une lecture fondamentaliste qui ne peut pas se remettre en question (ce qui est précisément ce qu’une lecture critique est sensée éviter).
* Et la lectrice admirera la mise en abyme récursive 🙂
Tu as parfaitement raison de préciser que les dogmes sont déjà en amont, je l’oubliais moi-même un peu 😉 Il faut les reconnaître, oui, mais comment? Il est simple pour chacun de dire que les dogmes qu’il professe sont le pilier du texte… Lisons d’abord les textes, analysons-les d’abord comme des textes sans statut particulier pour voir ce qu’ils disent vraiment et ensuite seulement commençons l’herméneutique. En tant que théologiens, efforçons-nous autant que possible de partir du texte plutôt que de nos a priori.
Devons-nous lire la Bible d’une certaine manière parce qu’elle est sacrée ou est-ce en la lisant et en l’étudiant que nous comprenons en quoi elle est particulière?
Ainsi, la mariologie comme dogme ok (mais je ne souscris pas), mais faisons la distinction entre le texte qu’on utilise pour affirmer un dogme et le texte qui une fois étudié permet de voir le dogme. Imposons-nous le dogme suivant même si nous ne serons jamais capable de le mettre parfaitement en pratique: d’abord les éléments du textes, ensuite l’interprétation. Interprétation qui peut se rattacher à différents courants théologiques et sociaux, pourvu qu’on respecte le texte.
Je reprends une métaphore d’un professeur. Finalement, il s’agit d’éviter que chacun retrouve les œufs qu’il a lui-même caché, d’éviter que les Bultmanniens retrouvent les œufs de Bultmann, les Barthiens de Barth etc et cela indépendamment du texte.
Je pense qu’on est sur la même longueur d’onde, simplement nous n’insistons pas exactement sur les mêmes points.
L’image de Barth et Bultmann entrain de pondre vaut le détour 🙂
Tout à fait d’accord, les textes ne doivent pas être des « textes-preuves ». Du coup, comment éviter que nos présupposés distordent les textes? C’est d’ailleurs une des questions de mon mémoire, sauf que Polanyi ne parle pas d’interprétation de texte, mais de la nature: comment, une fois que l’on reconnaît que notre connaissance est toujours située au sein d’un système fiduciaire, éviter le relativisme, éviter de simplement projeter nos catégories sur l’objet de notre connaissance? La réponse des objectivistes, c’est de dire que notre connaissance est détachée, impersonnelle, sans a priori, donc objective. Une fois qu’on voit que ça ne tient pas (nous somme toujours situés, passionnément engagés, etc.), Polanyi répond qu’il y a toujours une réalité cachée avec laquelle on entre en contacte, et qui nous résiste. Si on fait bien notre travail, on ne peut pas en toute conscience faire dire n’importe quoi à n’importe quel texte. Plus on se frotte au texte, plus il va nous résister. Et c’est là que le point de M. Freudiger est très important: l’honnêteté intellectuelle (ou, comme tu le dis, le respect du texte). Et celui sur lequel j’insiste souvent: le pluralisme méthodologique (mettre en dialogue plein de positions différentes, éclairer avec le plus d’éclairages possibles, pour augmenter le contact avec le texte et sa résistance).
Voilà en tout cas un sujet qui mériterai d’être plus approfondi !
(Merci pour la discussion, il faut que je retourne à ma prédic’ ^^)
Je ne comprends pas pourquoi la critique historique — forcément critique, donc plurielle et contradictoire — serait dogmatique; c’est au contraire l’affirmation de l’inspiration littérale de la Bible qui repose sur une idée dogmatique et qui ne résiste pas à une seconde… à la critique. Karl Barth avait dit déjà dans la préface à la 2e édition de son Commentaire de l’épître aux Romains qu’il fallait être plus critique envers la méthode historico-critique ! Mais si cela est toujours valable, cela ne veut pas dire: moins de critique, mais: plus de critique ! C’est à ce prix seulement que toute théologie — même évangélique — sera convaincante et plausible au XXIe siècle. Cela ne veut pas dire non plus que le réponse doctrinale à la question de la vérité puisse se fonder sur la critique historique. Il faut repenser les liens entre vérité et histoire.
En plus, texte de Freudiger — qui n’est pas, comme tel, « un texte de l’EERV » est parfaitement correct. L’auteur est connu pour ses positions plutôt bultmanniennes, mais ce n’est pas, en soi, un handicap ! J’ajoute à sa défense des sciences bibliques à l’Université; c’est toute la théologie universitaire qui est au service et dans l’intérêt du ministère pastoral et de l’Eglise. Une réflexion systématique, éthique et pratique solide, ainsi qu’une solide information historique, ne feront jamais de mai à l’exercice concret du ministère, qui doit affronter au quotidien les questions des athées, des agnostiques, des autres religions, etc. Il faut cesser d’opposer la théorie et la pratique.
Cher M. Müller,
Je suis tout à fait d’accord: il ne faut pas moins de critique, mais plus de critique. C’est pourquoi j’ai fait mon travail de mémoire en épistémologie, et que je continue sur la lancée avec mon doctorat. Or, être plus critique, ça veut dire aussi être critique par rapport à ce que « critique » signifie, et la manière dont cette « critique » est vécue. (Observez comment dans mon texte je met des guillemets à « critique »). Ce faisant, j’ai été surpris de découvrir un assez grand décalage entre ce que ceux qui se prétendent critiques disent faire, et ce qu’ils font réellement. Je développe donc dans d’autres écrits des justifications aux thèses que j’avance en vitesse ici (notamment en quoi la « critique » historique a des éléments dogmatiques).
D’ailleurs, ne pensez-vous pas que la critique devrait commencer par chercher à comprendre la pensée de l’autre, avant d’y répondre? Des mauvaises langues diraient que vos deux commentaires sont « dogmatiques », puisque sans chercher à comprendre ce que je dis ici vous le niez en bloc, a priori, parce que cela contredit ce que vous pensez. Bel exemple d’argumentation critique!
Accessoirement, qui a parlé d’opposer théorie et pratique? Ou de théologie évangélique? En fait, à qui ou quoi est-ce que vous répondez ici? Cela n’a pas l’air d’être à moi…
[…] Le dogme critique resservi par l’EERV […]
[…] L’axiome de Semler stipule donc que chaque texte biblique doit être considéré comme n’importe quel autre texte historique: il est avant tout un produit et témoin de son temps, adressé à des lecteurs de son temps. Tout texte doit donc être analysé en tant que tel par tout chercheur un tant soit peu rigoureux et honnête intellectuellement. […]