La résurrection et la foi de l’historien

L

Je me suis réveillé ce matin en lisant le Bonne Nouvelle du mois de Mars, et je suis tombé sur cette explication intéressante des « fondements historiques de la résurrection », d’Andreas Dettwiler. Ce qui suit est une réflexion libre suscitée par ce texte.

L’historien et la résurrection (CC-BY-NC Gordon Mckinlay)

Dans ces deux colonnes, M. Dettwiler affirme que la résurrection ne peut pas être prouvée à l’aide de l’investigation historique. Jusque là, rien de surprenant. Rien de surprenant non plus dans les différentes manières de parler d’une part de la mort, de l’autre part de la résurrection. La mort est historique, impossible à mettre en doute, « indiscutable ». La résurrection, par contre, n’est pas un événement historique mais une « expérience religieuse » qui est interprétée par les premier chrétiens comme une vision du Christ céleste vivant. Et l’historien reste prudent: « les premiers chrétiens en ont déduit que Jésus, le Christ, a été ‘ressuscité’ ou ‘exalté’ par Dieu. » L’historien affirme courageusement la mort, mais se distance de la résurrection.

Deux poids deux mesures

Ce que je trouve intéressant, c’est que ces deux différentes manières de parler ne découlent pas de la qualité des témoignages historiques. Supposons que nous sachions que Jésus a été emmené sur la colline de Golgotha, mais que l’on ne sache pas ce qui lui soit arrivé là-haut. Ensuite, l’historien pose la question: « est-ce que Jésus a été vu par après? » Paul, qui affirme l’avoir rencontré lui-même, rapporte une tradition très ancienne selon laquelle Pierre, les 12, puis « 500 frères » l’auraient rencontré. D’autres traditions rapportées parfois sous différentes formes parlent d’autres rencontres encore. Quelle serait la conclusion historique la plus logique? Il n’y aurait aucune raison de douter de ces apparitions. Et donc l’historien conclurait que oui, Jésus a été vu après sont passage sur Golgotha.

Alors qu’est-ce qui pousse l’historien critique (c’est à dire dans la tradition critique, ancré dans les valeurs, les croyance, la vision du monde de cette tradition) à ne pas accepter les témoignages d’apparitions comme proprement historiques, à les mettre sur un autre niveau, et à dire « l’historien ne peut pas se prononcer sur cette question de la résurrection »? Il s’agit de sa volonté de maintenir cette étrange créature mythique qu’est la « raison universelle », qui voudrait que si quelqu’un est rationnel, alors il analyse, dit et voit la même chose que toute autre personne rationnelle (une sorte de parallèle à la répétabilité dans les sciences expérimentales1). En particulier, tous les événements du passé doivent pouvoir avoir des analogies dans le présent, et être expliqués sur le mode de la causalité (matérielle s’entend). En gros, ils doivent être compatibles avec une vision scientifique matérialiste du monde2. Et la résurrection ne l’est pas. Si ce n’était pas le cas, s’il n’y avait pas ces critères précis d’historicité, alors:

  • L’historien ouvertement chrétien dirait: « Jésus est historiquement mort, et Jésus est historiquement ressuscité ». Il pourrait faire son travail d’historien en posant des questions comme: est-ce qu’il s’agit d’une résurrection corporelle? Quel a été l’impact de ces apparitions sur les témoins? Quels sont les témoignages qui attestent de cette résurrection? Quelles sont leur dépendance et leur fiabilité? (Et peut être même qu’au cours de cette étude il changerait d’avis sur la question de la résurrection). Mais pour lui, de son point de vue, l’affirmation « Jésus est ressuscité » n’est pas moins historique que l’affirmation « Jésus est mort. » (Et, contra Bultmann, ce n’est pas de l’idolâtrie: cet historien n’essaie pas de prouver à tous indépendamment de la foi que le christianisme est vrai, il essaie simplement de regarder le monde tel qu’il est — l’historien tel qu’il est regarde le monde — sans cacher sa foi ni la faire tordre sa raison.)
  • L’historien ouvertement athée dirait: « Jésus est mort, par contre il n’est pas possible que Jésus soit ressuscité (indépendamment des témoignages) ». Il lui faut donc trouver une autre explications aux expériences d’apparitions (et les qualifier d’hallucinations collectives, de mythe fondateur, ou quelque chose comme ça). Là aussi cet historien, tel qu’il est, avec sa foi, regarde le monde.
  • L’historien en questionnement (questionnement personnel et historique, sur certaines questions comme celle-ci les deux vont ensemble d’une certaine manière) dirait: pour l’instant je ne sais pas, mais avec la réponse que je vais donner à cette question, je dirai autant quelque chose sur la résurrection que sur moi-même — et ma vie pourrait en être transformée.

Pour l’historien critique, si toutes les personnes rationnelles doivent s’accorder sur la question de la résurrection, alors en régime occidental moderne, le plus petit dénominateur commun sera: Jésus est historiquement mort, puis des gens ont pensé l’avoir vu. Avec ces deux affirmations, tous peuvent être d’accord. Puis, dans un deuxième temps, celui qui le souhaite pourra dire, posant sa casquette d’historien, et prenant celle de théologien ou de chrétien: « je m’associe à eux par la foi et parle de résurrection du Christ. » Ici aussi, c’est l’historien critique tel qu’il est — avec sa foi dans la raison une et universelle, et la séparation entre un ordre du savoir objectif et un ordre du croire subjectif — qui regarde le monde. Son acte n’est pas plus ou moins rigoureux que ceux des historiens athée, chrétien et agnostique. Et il n’est pas plus ou moins scientifique3.

Que tirer de tout cela?

  • Qu’il soit bien clair, je ne m’intéresse ici pas à la question de savoir si les attestations historiques devraient ou pas nous faire pencher en faveur de la résurrection de Jésus (et donc si notre étude historique doit remettre en question nos croyances). Je m’intéresse plutôt au mouvement inverse, à savoir à l’impact de nos croyances — qui sont déjà là — sur notre pensée, y compris sur notre étude historique la plus rigoureuse.
  • Sur la base des principes des méthodes historico-critiques, l’historien ne pourrait jamais dire que Jésus est ressuscité, et ceci indépendamment de toutes les attestations historiques, même si celles-ci étaient 1’000 fois plus fortes. En conséquence, il y a certaines questions historiques auxquelles l’historien critique peut répondre s’il le souhaite uniquement sur la base de ses a priori ou présupposés, avant même d’avoir à regarder les sources.

    Pour moi, ceci n’est pas un mal. La pensée se développe toujours dans un cadre fiduciaire (un ensemble de croyances, valeurs et modes de pensées portée par une tradition adoptés a priori — « par la foi » — qui colore nécessaire toute analyse). La critique a son cadre fiduciaire — elle en reconnaît clairement certains éléments4.

    Ce que je ne comprends pas, c’est pourquoi les historiens critiques continuent de prétendre que leur méthode est neutre, en particulier théologiquement. On voit bien que sur une question comme la résurrection elle ne l’est pas et ne peut pas l’être: l’image qu’il ressort des récits de résurrection tels que racontés par A. Dettwiler est autre que celle que raconte un historien qui assumerait ses convictions chrétiennes au sein de son travail (ce qui est un paradoxe abominable pour le critique, une confusion des ordres), ou de l’historien qui assume ses convictions athées. Cette image présentée par Dettwiler est théologiquement orientée — et riche et nourrissante, mais là n’est pas la question5.

    Et cette vision des choses influence même la théologie des témoins! En effet, Dettwiler distancie les témoins de la résurrection de ce dont ils témoignent: il nous est rapporté que ceux-ci interprètent (déduisent) sur la base de leur expérience religieuse que le Christ est ressuscité. Par contre, il n’y a pas besoin de dire qu’ils interprètent sur la base de leur expérience sensorielle que Jésus est mort. Un minimum de critique rhétorique de ce texte de Dettwiler nous montre que l’effet produit sur le lecteur du Bonne Nouvelle est autre que si celui-ci avait dit quelque chose comme: « les témoins attestent de la mort et de la résurrection de Jésus le Christ ». L’historien crée ainsi une distance entre le témoin et l’objet de son témoignage, à cause de sa foi moderne qui place ces deux événements sur deux ordres différents.

    Comment les critiques peuvent à la fois dire « on a ces présupposés indémontrables » et en même temps « toute personne rationnelle doit être d’accord avec nous », et le dire avec l’attitude de « sinon c’est un abruti ou un fondamentaliste », je ne le comprends pas. Qu’il y ait des gens qui rejettent les résultats critiques parce qu’ils sont abrutis ou fondamentalistes, c’est tristement vrai. De là à dire que tous ceux qui refusent d’accepter a priori les résultats critiques sont des abrutis ou des fondamentalistes, cela ne suit pas logiquement.

  • Est-ce que ce ne serait pas plus simple d’accepter simplement que nos présupposés métaphysiques déterminent notre vision de l’histoire, et que différentes personnes auront différentes visions de l’histoire? Et ce d’autant plus pour le cas particulier de la résurrection qui ne peut pas être compris sur le principe de l’analogie, puisqu’il s’agit précisément de quelque chose de neuf. Comme le dit Newbigin:

La résurrection ne peut pas entrer dans une théorie du monde basée sur d’autres fondations. La résurrection ne peut faire sens que si l’on commence par elle. … Tel est le cas, parce que la résurrection, comme la création, est un nouveau commencement radical.6

Résurrection (CC-NC-ND Big Grey Mare)
  • Reconnaître cet état de fait — à savoir que notre situation détermine ce que l’on percevra de l’histoire — n’est pas un enfermement, puisque notre vision du monde, nos croyances, nos attachements à une tradition ou à une communauté peuvent changer, il ne s’agit pas d’un donné figé. Et ce n’est pas non plus un sacrifice de la raison, au contraire, il s’agit plutôt d’une manière — ce me semble — bien plus humble et honnête (et correcte) de voir et comprendre le fonctionnement de la raison qui ne peut s’exercer que dans un système fiduciaire, dans une tradition. Et finalement, il ne s’agit pas d’une stratégie apologétique pour disqualifier les résultats critiques qui menaceraient ma foi, puisque je reconnais que les historiens critiques m’ont appris énormément sur les textes bibliques et leur histoires.

Conclusion

En conclusion, je suis d’accord avec l’affirmation mise en exergue: « Ce sont toujours des témoignages de foi. » Ce avec quoi je ne suis pas d’accord, c’est l’idée que les autres affirmations de l’historien ne reposent pas sur une forme de foi, qui colore ce qui va être vu et accepté comme historique. Je trouve dommage que les critiques qui comme chacun de nous baignent dans leur croyances et valeurs ne consacrent pas un peu plus de temps à réfléchir à quelles sont ces croyances et valeurs, et à réfléchir sur les conséquences épistémologiques que cela à de le reconnaître. Tout le monde serait gagnant, notamment parce que cela permettrait d’éclairer l’histoire de différentes manières, et d’entrer dans des dialogues plus riches.

PS: je parle de cette question de manière un peu plus rigoureuse (en utilisant même un peu de formalisme logique pour me faire plaisir) dans mon travail de mémoire, p.71–79.


  1. C’est d’ailleurs comme ça que la chose est présentée par fois, cf. mon travail de mémoire, p.73.
  2. « Scientifique » pour être rationnel, « matérialiste » pour être universel: les théistes acceptent les causes matérielles, alors que les athées n’acceptent pas de causes non-matérielles — il s’agit du plus petit dénominateur commun.
  3. Du moins pas tel que l’on entend généralement « scientifique » comme « décrivant réellement la réalité. » Par contre, il est plus « scientifique » dans le sens ou il est plus en accord avec les croyances de la majorités des scientifiques reconnus comme tels (et par eux-même…!) dans cette discipline. Ce qui ne dit rien sur la vérité des résultats, mais sur l’appartenance du chercheur à une communauté.
  4. Voir l’entrée « Bible » dans l’Encyclopédie du protestantisme, Pierre Gisel (éd.), la partie écrite par Zummstein sur les présupposés de la méthode historico-critique.
  5. Notamment la distinction si profondément admise en théologie réformée moderne entre le Jésus de l’histoire et le Christ de la foi — et ses profondes implications christologiques — découle de cette attitude. Il s’agit d’un produit théologique d’une recherche historique qui se voulait théologiquement neutre.
  6. Lesslie Newbigin, Faith in a Changing World, Paul Weston (éd.), London, HTB, 2012, p.56.
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7 commentaires

  • Un article impréssionant Olivier! Tu as une pensée très perspicace et t’exprimes très bien en plus. Je suis d’accord que nos a prioris déterminent souvent nos conclusions et que c’est impossible de ne pas en avoir.
    Ma question est: ne serait-il donc pas possible de critiquer des valeurs et croyances qui sont fondées a priori?

    • Merci Magnus.

      Oui c’est possible (d’ailleurs on le fait tout le temps — quand on critique les croyances/valeurs des autres), et c’est nécessaire. Le problème c’est qu’on ne se rend pas compte que toute critique repose elle aussi sur des croyances/valeurs (les nôtres): il faut donc commencer par prendre conscience de cela (ce qui est le but de cet article, en fait, je crois). 

      Et puis dans un deuxième temps il faut donc trouver un mode d’évaluation qui prenne cela en compte. (Sauf éventuellement via un argument transcendantal, comme celui de Van Til, mais je ne suis pas sûr qu’il soit valide.) Il y a justement chez Van Til de bonnes pistes de départ sur cette question, même si pas complètement satisfaisantes à mon sens. 

      J’espère avoir l’occasion à l’avenir de réfléchir plus à cela.

  • « L’historien crée ainsi une distance entre le témoin et l’objet de son témoignage, à cause de sa foi moderne qui place ces deux événements sur deux ordres différents. »
    Grosse confusion sur le statut épistémologique de la foi qui n’est en rien égal à celui de la connaissance naturelle .
    Je ne crois pas que les hommes sont mortels, je le sais d’une connaissance qui fait communauté universelle (et non secte, parti, église) , d’une connaissance partageable par toute personne saine d’esprit, d’une connaissance que vérifient les faits, etc.
    Par contre, je crois que tel homme est ressuscité et je ne le saurais jamais selon le savoir qui sait que toute créature vivante est mortelle.
    Rupture épistémologique radicale entre connaissance naturelle et foi.

    • Bonjour Dan, merci pour votre commentaire — qui est une belle déclaration de foi sur la rupture épistémologique entre croire et savoir 😉
      Mais est-ce que cette confession de foi résiste à la confrontation avec la réalité?

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