10 distorsions cognitives qui nous pourrissent la vie

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Pour la petite histoire, j’ai commencé à lire durant mon service civil sur la thérapie cognitive (TC) dans le cadre de la prévention et du traitement de la cyberaddiction1. Après m’être familiarisé un tant soit peu avec l’approche (autant que possible en quelques heures), j’ai été rapidement supris par:

  1. La facilité d’application: j’ai immédiatement pu appliquer certaines notions à: moi; des proches; des gens que j’accompagne durant mon service civil.
  2. L’efficacité de l’approche: à titre d’exemple, j’ai décidé d’essayer de mettre la méthode en pratique en particulier avec un jeune ici qui se plaint constamment de tous ses problèmes. Le dernier en date: une invasion de un cafard dans son appartement. Après une heure de discussion, et le temps qu’il mette en place 2–3 démarches sur lesquelles on s’est mis d’accord, il revient avec le sourire, l’air clairement soulagé, et me dit quelque chose dans la ligne de: « franchement Olivier, tu fais bien ton métier ». Évidemment, j’ai souris intérieurement étant donné la petite expérience que je menais, sachant donc que le compliment n’était pas adressé à moi mais à cette méthode2.

La notion de « distorsion cognitive » a été introduite en psychothérapie par Aaron Beck en 19673. Il est reconnu comme le père de la TC.

L’idée centrale est la suivante: ce n’est pas le monde extérieur qui est la cause de notre humeur, mais la représentation que l’on en a, à travers nos pensées et croyances. Lorsque nous ne sommes plus capable de voir le monde objectivement, à cause de représentations tordues de la réalité, nous le voyons de manière négative, et cela est cause de tristesse, colère et anxiété.

Par exemple: si la dépression était causée par l’environnement, alors il devrait y en avoir moins là où la vie est plus agréable. Or c’est l’inverse qui est observable. La cause de la dépression n’est donc pas notre situation de vie, mais les pensées et schémas mentaux par lesquels nous interprétons les événements qui nous arrivent.

Cette idée est déjà présente dans l’antiquité, notamment chez les stoïciens. Par exemple, pour Épictète (55–135 ap. J.-C.), dans son Manuel:

« Ce qui trouble les hommes, ce ne sont pas les choses, mais les représentations qu’ils en fabriquent. »

Voilà donc ce qu’il préconise:

« Ainsi donc, à toute idée pénible, prends soin de dire : “Tu es idée, et tu n’es pas du tout ce que tu représentes.” Examine-la, et juge-la selon les règles dont tu disposes… »

Je ne peux pas agir sur ce qui m’arrive, je peux difficilement changer mes émotions, par contre je peux travailler sur mes pensées et croyances. Le but de la TC est donc de devenir métacognitif, c’est à dire conscient de la manière dont on pense, et capable d’évaluer ses pensées.

La thérapie par l’épistémologie.

10 distorsions cognitives

Une distorsion cognitive est une pensée « irrationnelle », cause d’angoisse, tristesse et/ou colère. D’après Aaron Beck, les distorsions cognitives peuvent intervenir à trois niveaux:

  1. Sur soi — p.ex. « je ne vaux rien »
  2. Sur l’environnement — p.ex. « le monde est injuste »
  3. Sur l’avenir — p.ex. « je ne m’en sortirai jamais »

Beck propose 6 distorsions cognitives, qui sont complétées en 1980 par David Burns. On peut bien sûr trouver d’autres listes beaucoup plus grandes

Celles et ceux qui sont familiers avec les fallacies logiques courantes remarqueront de nombreux parallèles.

1. La pensée dichotomique (ou/ou)

Les choses sont perçues de manière radicalement polarisée, sans aucune nuance: noir ou blanc, juste ou faux, tout ou rien, excellent ou catastrophique.

Ex.: « Soit je réussi parfaitement, soit je suis nul. » Si j’ai des résultats ok (donc pas parfaits), je me trouve nul.

2. La surgénéralisation

Un ou peu d’événements sont perçus comme caractéristiques de la vie en générale. Il s’agit d’une inférence injustifiée, à savoir une généralisation sans fondements.

Ex.: « une fille m’a dit non, toutes les filles vont toujours me dire non. »

3. L’inférence arbitraire (conclusion hâtive)

Une situation est interprétée sans ou contrairement aux indices à disposition.

Notamment:

  1. Lecture des pensées d’autrui: « je suis sûr qu’il pense que je suis idiot. »
  2. Erreur de prévision: « je vais rater mon examen. »

4. L’abstraction sélective (filtre)

On ne se focalise que sur certains éléments, généralement négatifs, sans prêter attention aux autres facteurs d’une situation complexe.

Ex.: 9 personnes me font des compliments après une prestation, et 1 personnes une critique — et je ne porte attention qu’à la critique.

5. La disqualification du positif

Les indices positifs sont rejetés comme étant infondés, factices, sans importances.

Ex.: quelqu’un me dit que je chante bien, et je me dit que la personne ne le pense pas, ou qu’elle dit ça précisément parce qu’elle voit que ce n’est pas le cas et qu’elle veut m’encourager.

6. La lorgnette (dramatisation / minimisation)

Certains éléments sont exagérés au-delà de leur importances réelles, et d’autres sont minimisés en-deçà de leur importance.

Ex.: « En ligne (sur internet), tout le monde me respecte. Hors-ligne, tout le monde me méprise. »

7. Personnalisation

Assumer la responsabilité d’une situation qui échappe de son contrôle (de la responsabilité d’une autre personne ou de l’environnement), ou penser à tort que ce que font les autres est lié à soi.

Ex.: « si mon fils rate à l’école, c’est parce que j’ai été un mauvais père. »

8. Raisonnement émotionnel

Une émotion est considérée comme reflet véritable d’une réalité.

Ex.: « je me sens désespéré, c’est donc que ma situation est sans espoir »; « je me sens coupable, c’est donc que j’ai fait quelque chose de mal. »

9. Fausses obligations

Exigences arbitraires et irréalistes que l’on applique à soi, et parfois par extensions aux autres.

Ex.: « je ne devrais jamais faire d’erreurs », « après tout ce que j’ai fait pour elle, elle devrait au moins… »

10. L’étiquetage

Une forme de surgénéralisation, dans laquelle un jugement définitif et chargé émotionnellement est collé à soi ou à d’autres.

Ex:. « je suis nul » (au lieu de: « j’ai fait une erreur »).


Ces distorsions cognitives ont l’avantage de procurer une illusion de maîtrise de son environnement; il s’agit d’une source de certitude facile. (Note: étant dans une société marquée par un héritage lourd de quête obsessionnelle de certitudes, à mon avis c’est aussi sur ce point qu’il faut travailler thérapeutiquement: remplacer une épistémologie de la certitude — qui est pathogène à tous les niveaux de la société — par une épistémologie post-critique, de l’engagement risqué et de la responsabilité.)

Pour Beck, repérer les distorsions cognitives n’est pas tout: il y a des processus plus profonds, plus difficiles à repérer, qui conditionnent nos pensées. Il appelle cela les « schémas cognitifs »: des « postulats silencieux », tacites, ancrés profondément en nous.

Ex.: « Ma valeur dépend de ce que je fais », « je dois être irréprochable », « rien n’est gratuit », etc.

Et ensuite?

Je ne présente pas ici la manière dont l’approche cognitive entend remplacer ces distorsions cognitives — et plus fondamentalement les schémas cognitifs qui les sous tendent — à travers toutes sortes de stratégies: journal, jeu de rôle, techniques de relaxation, distraction mentale, etc.

Être capable de les repérer (chez soi et chez les autres) est déjà un premier pas important.

Mais je conclu avec cette citation de Martin Lloyd-Jones, dans son Spiritual Depression, qui donne une piste intéressante:

Ne réalises-tu point que la grande partie de ton malheur vient du fait que tu t’écoute plus que tu ne te parles? … [Le traitement préconisé par le psalmiste (Ps 42)] était le suivant: au lieu de permettre à cet ‘ego’ de lui parler, il commence à se parler à lui-même: « Pourquoi es-tu abattue, ô mon âme? » demande-t-il. Son âme l’a déprimé, écrasé. Alors il se lève et dit: «  ‘Ego’, écoute voir un moment, je vais te causer. »


Si cela intéresse quelqu’un, je peux mettre au propre mes notes de réflexion sur une évaluation théologique et pastorale de la thérapie cognitive.

  1. Kimberly S. Young, « CBT-IA: The First Treatment Model for Internet Addiction », Journal of Cognitive Psychotherapy: An International Quarterly, vol. 25, n° 4, 2011, p.304–312.
  2. Sur l’efficacité, un rapport de l’INSERM (Psychotérapie: trois approches évaluées, 2004) compare l’efficacité des approches psychanalytique, cognitivo-comportementale, et familiale / de couple.
  3. A. T. Beck, The diagnosis and management of depression, Philadelphia, University of Pennsylvania Press, 1967.
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9 commentaires

  • Excellent article mon cher 🙂
    Très intéressant de comprendre les mensonges qu’on croit sur nous même et pourquoi on les croit, ça peut être le premier pas de la remise en place de la vérité!

  • Cher Olivier, merci bcp pour ton blog sur lequel je viens très régulièrement. Ton dernier article sur la TC m’intéresse particulièrement. J’utilise souvent cette approche pour moi-même et mon ministère d’aumônier. Tu proposes de mettre au propre tes notes de réflexion sur une évaluation théologique et pastorale. Vraiment ça m’intéresserait …cela dit, j’imagine que c’est bcp de boulot. A toi de voir.…merci encore bcp pour tous les autres articles qui abordent des thèmes variés liés tant au ministère, qu’ à l’Eglise, la théologie, l’épistémologie etc.…merci pour ton ouverture au dialogue si précieuse.

  • Voilà une approche intéressante à partir de laquelle il serait utile de développer des animations axées sur les lieux d’Eglise. L’herméneutique de notre société, du rôle de l’Eglise et de la pertinence de l’Evangile sont des éléments essentiels en matière d’évangélisation. Et de fort nombreuses croyances et représentations (souvent jamais nommées) circulent. Très intéressé à une version plus complète en vue d’un travail d’adaptation.

  • Bonjour, je tombe sur votre article deux après que vous l’ayez publié. Merci. C’est génial cette approche « tu écoutes plus que tu ne parles. » Si les notes existent, je serais ravie de les lire. Ma recherche était motivée par la prise de conscience qu’une personne avec qui je discute régulièrement semblait se trouver dans un discours automatique inconscient, appauvrissant et certainement protecteur, empêchant une réelle entrée en relation. J’ai tenté de mettre le doigt dessus mais le schéma reste inconscient. Cela m’a beaucoup interpelée. Je vous souhaite une belle après-midi.

  • Bonjour, je suis d’accord avec ce qui est présenté ici comme l’idée centrale de la thérapie cognitive, car il me semble que c’est également ainsi que la Parole de Dieu nous invite à comprendre les choses : «ce n’est pas le monde extérieur qui est la cause de notre humeur, mais la représentation que l’on en a, à travers nos pensées et croyances. Lorsque nous ne sommes plus capable de voir le monde objectivement, à cause de représentations tordues de la réalité, nous le voyons de manière négative, et cela est cause de tristesse, colère et anxiété. […]» 

    D’ailleurs, lors d’une crise sociale qu’il y a eu au Québec il y a quelques années, j’ai eu l’occasion de présenter une réflexion biblique dont le thème était la responsabilité personnelle de tous les participants lors d’événements où policiers et étudiants s’affrontaient, parfois violemment. 

    Plusieurs chrétiens que je connaissais étaient opposés radicalement aux manifestations étudiantes alors que d’autres y participaient avec la plus ferme conviction. L’objectif de l’exposé que j’ai apporté à cette occasion n’était pas de trancher sur la question, mais de souligner que peu importe qui l’on est, policier ou manifestant, la responsabilité nous incombe à nous-même en qualité de chrétien d’agir en sachant que nos choix nous guident, non pas les circonstances, ni ce que font ou disent d’autres. 

    Pour plusieurs personnes à qui je parlais, cela ne me paraissait pas évident. C’est comme si l’on pensait que les policiers, par exemple, étaient la cause de la violence des foules, ou que les étudiants étaient la cause de la violence de certains policiers. 

    L’article du présent blogue fournit un fondement séculier pour dire ce que la Bible enseigne à ce sujet et dont l’article suivant fait état : http://www.savoiretcroire.ca/agir/vivre-dans-le-monde-en-citoyens-capables/

    Ce commentaire applique votre article à des situations où de nombreuses personnes se mettent d’accord pour rejeter sur les circonstances ou sur les actions des autres afin de justifier non seulement comment ils se sentent, mais aussi ce qu’ils se sentent justifier de faire aux autres.

    Merci pour votre excellent article, et pour ce blogue !

    Daniel Garneau
    http://www.savoiretcroire.ca

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