4 étapes pour résoudre un problème, et sous la douche !

4

Récemment et à deux reprises, j’ai eu le malheur de laisser traîner un rubik’s cube sur notre table à manger lors d’un repas avec un groupe d’amis. Les deux fois, ça n’a pas manqué: quelqu’un a pris le cube, et s’est enfoui dans un monde de frustration passionnée pour essayer de résoudre le bidule. Lorsque l’on est devant un problème qui est à notre taille (ni trop simple, ni trop compliqué) apparaît une « tension heuristique » 1, un désir intellectuel de trouver un solution. Et ce indépendamment du fait que le problème ait une incidence pratique ou non — généralement juste pour le plaisir de satisfaire ce désir intellectuel.

Que se passe-t-il lorsque nous cherchons une solution à un problème — et la trouvons?

4 étapes pour résoudre un problème

Reprenant une terminologie de Poincaré et l’adaptant à son épistémologie, Polanyi distingue 4 étapes dans le processus de découverte ou résolution.

  1. La préparation: il s’agit d’identifier un problème (ce qui n’est pas une chose si aisée qu’il n’y paraît), et réfléchir à sa solution, en utilisant toute la connaissance à notre disposition.
  2. L'incubation
    L’incubation (CC-BY-SA Yosemite)

    L’incubation: cette étape peut ne pas avoir lieu, ou avoir lieu très rapidement. Ici, rien n’est fait, rien ne se passe dans le domaine conscient, mais la tension heuristique perdure. L’attention du chercheur, toutefois, n’est pas tournée vers le problème.

  3. L’illumination: ce moment où l’on est comme percuté par une pensée heureuse qui ouvre la solution du problème. Ce n’est pas une performance logique stricte, opérable par une méthode détaillée — un saut logique est franchi. Plus le saut est grand, plus il faut d’ingéniosité pour parvenir à le franchir à partir des connaissances acquises. Certaines personnes (par exemple Einstein) ont plus de facilité que d’autres, bien que cela soit difficile à expliquer pourquoi.
  4. La vérification: il s’agit d’affermir la solution trouvée au stade précédent, l’expliciter au maximum et s’assurer qu’elle soit solide.

On observe cela assez fréquemment quand, après avoir travaillé un moment, on va se balader en fumant une pipe, ou prendre un douche, et que tout d’un coup une idée nous vient sur comment débloquer une situation.

La première et la quatrième étapes sont actives, et dans le cas des sciences ou des mathématiques impliquent des calculs et autres opérations symboliques explicites. La deuxième et la troisième étapes sont passives et informelles. Le saut logique nécessaire à la découverte nécessite ces deux aspects, articulé et inarticulés, formel et intuitif. Mais la capacité intuitive de l’investigateur prévaut.

Polanyi donne l’exemple des mathématiques pour illustrer cela. Un bon mathématicien est capable d’opérer des calculs compliqués, sans quoi son ingéniosité demeurerait inefficace. Mais ce n’est pas cette capacité de calcul qui détermine ses résultats. Polanyi cite un mathématicien qui disait faire plus d’erreurs que ses élèves, mais qu’il est était capable de les repérer plus rapidement que ses élèves car le résultat ne semblait pas juste. J’imagine que toute personne qui a fait des maths avec passion a déjà fait l’expérience de savoir le résulta d’un problème avant de l’avoir proprement démontré.

Une illustration théologique

De manière intéressante, Polanyi lui-même utilise une image théologique pour illustré ce procédé. En effet, il distingue trois éléments fondamentaux dans ce procédé de découverte:

  1. Un travail intensif. Ce travail n’est pas garant d’une découverte, mais il est une condition.
  2. La confiance du chercheur qu’il y a quelque chose à découvrir, et qu’une découverte va peut-être avoir lieu.
  3. La découverte elle-même, qui dans l’expérience du chercheur se donne à lui.

Polanyi y voit ici les œuvres, la foi et la grâce: le scientifique œuvre avec la confiance que son travail le prépare à recevoir une vérité d’une source sur laquelle il n’a pas de contrôle.

« Je regarde donc le schéma paulinien comme la seule conception adéquate du processus de découverte scientifique. » 2

On pourrait discuter la compréhension polanyienne du schéma paulinien, mais pour l’instant savourons ce moment cocasse où un philosophe des sciences va puiser une image théologique pour illustrer sa réflexion.

Une illustration simiesque

De manière toute aussi intéressante, ces étapes sont observables à leurs échelles chez des animaux. Polanyi mentionne des expériences faites avec un chimpanzé. Une cacaouette est placée au fond d’un tube et il ne parvient pas à l’atteindre, ou une banane est disposée hors d’atteinte. Le chimpanzé essaye de récupérer l’objet de son désir pendant un moment, et n’y parvient pas. Puis, alors qu’il est entrain de faire totalement autre chose — respectivement boire et jouer avec un bâton — une illumination le frappe, et il utilise l’eau de la fontaine pour remplir le tube et faire remonter la cacaouette, et le bâton pour atteindre la banane. Les 4 étapes (préparation, incubation, illumination, vérification) sont clairement présentes ici.


Que pensez-vous de cette description du processus de découverte?
Quel est votre lieu d’incubation préféré?

  1. Polanyi, Personal Knowledge, Towards a Post-critical Philosophy, Chicago, University of Chicago Press, 1958, p.122.
  2. Polanyi, « Faith and Reason »,  The Journal of Religion 41.4, 1961, p. 247.
close

Abonne-toi pour ne pas manquer les prochains articles !

Abonne-toi pour ne pas manque les prochains articles :

Ajouter un commentaire

Abonne-toi

Pour ne pas manquer les prochains articles :

Catégories

Ici on parle de…