« Seuls les vrais évangéliques peuvent devenir vraiment œcuméniques »

«

En arrivant tout à l’heure devant le centre où commencera demain la 10e Assemblée du Conseil Œcuménique des Église, nous avons eu la surprise d’être accueillis par une manifestation anti-COE. Tout le monde porte un T‑Shirt « Jésus est le seul chemin » (j’aimerais bien pouvoir en récupérer un avant de partir), et des pancartes « Pas de COE, Jésus seulement », « Le COE tue les Églises coréennes », etc.

D’après un ami coréen, il y aurait environ 40’000 manifestants attendus ! (pas vérifié)

Manifestation anti-WCC
Manifestation anti-WCC

Après ça, j’étais encore plus triste que la veille.

1. Évangéliques vs. œcuméniques, état des lieux

La polarisation entre « évangéliques » et « œcuméniques » est forte. En caricaturant à peine, les « évangéliques » se méfient des « œcuméniques » en ce qu’ils les trouvent pas assez ancrés dans l’autorité de la Bible, peu engagé pour l’évangélisation, trop progressistes, et qu’ils ne parlent pas de conversion. Les « œcuméniques » se méfient des « évangéliques » car ils les trouvent trop naïfs, culturellement insensible, trop conservateurs, et trop peu engagés dans les questions socio-politico-environnementales.

Contribue à cette séparation le fait que les différentes églises sur le terrain sont souvent d’avantage en contact avec leur vis-à-vis global (donc de la même tendance qu’eux) qu’avec les chrétiens locaux. Les soutiens financiers des pays riches aux églises locales leurs permettent de poursuivre des agendas séparés, et chacun marche sa route avec une connaissance très limitée de ce que fait l’autre — tant au niveau local qu’au niveau global.

À cet effet, on peut se réjouir de la création du Global Christian Forum, une plate-forme pour toutes églises qui confessent « le Dieu trinitaire et Jésus-Christ vrai homme et vrai Dieu », afin de discuter d’enjeux divers1. Ce forum réunit notamment le COE, le Conseil Pontifical pour la promotion de l’unité chrétienne, et l’Alliance Évangélique Mondiale / le Mouvement de Lausanne. D’après Konrad Raiser (ancien secrétaire général du COE), le fait que le COE tendent à se comprendre comme un pèlerinage (un mouvement plus qu’une corps statique) peut le libérer de sa « captivité institutionnelle » et permettre ce genre de dialogues fructueux, et — on peut l’espérer — des retombées locales.

2. Des attitudes mortifères

S’il y a des perspectives réjouissantes, il y a encore des attitudes qui bloquent le dialogue et la communion. Pour Siga Arles, la cause des problèmes n’est pas que les « évangéliques » sont trop évangéliques et pas assez œcuméniques, ni que les « œcuméniques » sont trop œcuméniques et pas assez évangéliques. Au contraire, le problème vient du fait que les évangéliques ne sont pas assez évangéliques, et les œucuméniques ne sont pas assez œcuméniques!2

  • Du côté des œcuméniques, Arles déplore que des gens dans le COE — y compris dans des positions importantes — puissent avoir un mépris assez profond envers ceux qui ne font pas partie de « leur camp », et rejettent — parfois de manière assez violente — l’idée même de rechercher une manifestation visible de l’unité avec les églises évangéliques.
  • Réciproquement, l’auteur déplore que des évangéliques perdent leur regard centré avant tout sur l’individu pour ne penser qu’à « leur camp » et la manière dont ils peuvent le faire grandir. L’unité est difficile au sein du monde évangélique, combien plus les relations avec chrétiens non-évangéliques et non-protestants!

3. Une proposition intéressante: seuls les vrais évangéliques peuvent être vraiment œcuméniques

L’enjeu est important pour le Conseil Œcuménique des Églises: comment celui-ci pourrait-il se prétendre « œcuménique », alors qu’en 2010 il ne représentait que 20% des chrétiens? D’autant plus que depuis, ce nombre n’a fait que diminuer (puisque la majorité de la croissance de l’Église a lieu précisément dans des églises non membre du COE).

De plus, la distinction entre « évangélique » et « œcuménique » n’est pas si claire qu’il n’y parait:

« Séparer les chrétiens évangéliques et œcuméniques est une séparation trompeuse en ce qu’un nombre toujours croissant de chrétiens appartient au chevauchement. Le cloisonnement n’a pas été fait en fonction de dénominations ou de personnes, mais sur la base d’idéologies. » 3

Prenons un exemple intéressant: moi.

Je participe au mouvement de Lausanne (par exemple à Cape Town 2010) et porte profondément en moi sa vision — et donc à cet effet suis probablement « évangélique ». Et je participe au COE (par exemple ici) et porte profondément en moi sa vision — et donc à cet effet suis probablement « œcuménique ».

Dans le même sens d’un rapprochement, Arles passe en revue le contenu des enseignements et publications de plusieurs instituts de théologie « évangéliques », et observe que beaucoup d’intérêts communs avec les thèmes favoris des « œcuméniques ». Les « évangéliques » sont de plus en plus poussés vers les thèmes qui intéressent les « œcuméniques »: réconciliation, justice, paix, écologie, etc. Les thèmes abordés lors de  Cape Town 2010 (Assemblée du Mouvement de Lausanne) en témoignent.

La proposition d’Harris pour faire le lien est donc la suivante: seuls les vrais évangéliques — qui ont vécus une rencontre authentique avec Dieu en Jésus-Christ, expérimentés une nouvelle naissance par le Saint-Esprit et s’engagent à suivre le Christ en portant leur croix — peuvent comprendre le cœur de Dieu pour l’Église et le monde: ses déchirures et ses injustices, et œuvrer pour la réconciliation, la justice et la paix — l’oikumene. Les membres nominaux des églises — que ces églises soient « évangéliques », « œcuméniques » ou autres — ne peuvent pas le vivre et le faire en tant que chrétiens.

En découle une proposition pour un œcuménisme pluriforme, fondé sur deux principes:

  • Notre compréhension de Dieu comme Trinité, communion de personnes (Père, Fils et Esprit) vivant en unité
  • La mission de Dieu, raison d’être de l’Église, qui invite toute la création à participer à cette communion

En conséquence,

Nous appelons nos efforts vers l’unité à être pour la cause de la mission. À cet effet, nous devons nous assurer que nos efforts vers des formes visibles d’unité ne soient pas assommés par des intérêts institutionnels. C’est pourquoi nous encourageons les églises d’Inde à explorer des formes d’unités chrétiennes nouvelles et crédibles, qui fassent avancer la cause de l’Évangile.4


Bien sûr, tout cela est un peu facile à dire, mais la réalité est plus complexe.

En particulier, de mon expérience ici et ailleurs il me semble que pour certains des éléments dans chacun des « camps », le simple fait de dialoguer avec l’autre serait une compromission (j’ai entendu ce terme ce matin encore dans la bouche d’un « œcuménique »):

  • Pour certains « évangéliques »: une compromission de la pureté des valeurs morales qui découlent de l’évangile
  • Pour certains « œcuméniques »: une compromission des progrès qui ont été fait au sujet de ces valeurs morales au nom de l’Évangile (droits des femmes, des homosexuels, etc.)

Dans les deux cas, le dialogue peut-être vu comme un retour en arrière, et les perspectives sont à la fois incompatibles et centrales à l’identité de chacun des « camps ». La même chose pourrait être dit au sujet de l’aspect « appel à la conversion » dans la mission, ou de bien d’autres sujets.


Malgré ces obstacles, il n’empêche qu’une telle conception des « évangéliques comme œcuméniques » peut aider certains qui comme moi se trouvent dans la zone démilitarisée un peu floue entre ces deux groupes à mieux comprendre leur position, et contribuer (avec d’autres) au rapprochement de Genève et Lausanne.

Qu’en penses-tu?

  1. « Purpose statement: To create an open space wherein representatives from a broad range of Christian churches and inter-church organizations, which confess the triune God and Jesus Christ as perfect in His divinity and humanity, can gather to foster mutual respect, to explore and address together common challenges. » (réf)
  2. Siga Arles, « Relations between Ecumenicals and Evangelicals in Asia » in Ecumenical Visions for the 21st Century: A Reader for Theological Education, Mélisande Lorke and Dietrich Werner (éds.), Genève, WCC Publications, p.86–94.
  3. J.J. Harris, Evangelicals are True Ecumenicals: The Theological Pilgrimage of the Indian Church. A Study of Contrast—The Futility of Polarisation, Madras: Mission Educational Books, 2008, p.14
  4. Siga Arles, « Relations between Ecumenicals and Evangelicals in Asia », art.cit.
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4 commentaires

  • Tout d’abord je ne pense pas qu’il faille amalgamer « libéral » et « oecuménique ». Ce serait injuste aux deux orientations. 

    Mais je pense que le repli identitaire, qu’il soit « oecuméniste » ou « évangéliquiste », est l’expression d’une peur. Peur de perdre quelque chose d’important, une part de son identité — ou peut-être aussi la peur de se laisser embobiner par « les autres »… ce qui est grave pour celui qui se dit évangélique, qui devrait donc dépasser le stade « moi de Paul, toi de Silas » pour avoir trouvé « nous tous du Christ », mais qui est encore plus grave pour celui qui se dit oecuménique et donc par définition ouvert à la rencontre de chrétiens d’autres dénominations et Églises, qvec des visions différentes mais le même but : le Christ. 

    La Bible est assez claire et radicale : là où il y a la peur, l’amour n’y est pas… et là où il n’y a pas d’amour, il n’y a pas Dieu.
    Il est donc nécessaire de vaincre le sectarisme des uns et des autres — mais que chacun se mette à combattre le sien, pas celui des autres, rappelons-nous l’histoire de l’écharde et de la poutre… 

    Etant d’origine luthérien, je peux répondre au sectarisme romain par l’humour : ce sont les catholiques, par les pratiques de la fin du Moyen Age et par le Concile de Trentes, qui se sont séparée de la vraie et Une Église du Christ…
    note d’humour généralement bien accueillie par les frères et soeurs catholiques romains.
    Mais je suis en larmes devant le sectarisme des frères et soeurs qui se disent évangéliques, car leur sectarisme ne se contente pas de déclarer qu’un autre n’est pas membre de la bonne Église, il prétend pouvoir décider de la foi d’autrui. Et, d’ailleurs, il prend parfois des formes qui dépassent les pires excès du sectarisme romain ante concilium. Je n’ai pas oublié et n’oublierai pas de si tôt ce courrier d’une lectrice suisse dans idea-Spektrum, après le raz-de-marée, applaudissant le fait que la vague avait, comme elle dit, « anéanti 2000 faux chrétiens pendant leur service aux faux dieux » — en fait, la vague avait arraché une église dans laquelle 2000 croyants s’étaient réunis pour célébrer la messe du Christ… 

    Bref. Il y a beaucoup de chemin à faire, beaucoup d’humilité à apprendre.

  • Un peu à retardement, mais parler du « sectarisme des frères et soeurs qui se disent évangéliques », leur attribuer des attitudes, discours et opinions, le tout sur la base de cas individuels, en amalgamant lesdits évangéliques en un corps homogène dont chaque membre pense nécessairement de la même manière que son voisin, comment dire…

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