Un scénario alternatif et contre-courant: 19 thèses de Walter Brueggemann

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Walter Brueggemann
Walter Brueggemann

J’ai énormément apprécié découvrir Walter Brueggemann par la lecture de sa Theology of the Old Testament1 lors de mes études en Afrique du Sud. Brueggemann embrasse une approche de l’Ancien Testament ouvertement post-moderne, non-essentialiste, pluraliste et polytonique, en se concentrant uniquement sur le monde-du-texte et en l’acceptant tel quel — avec toute son étrangeté, son incohérence et son épaisseur. Particulièrement attentif aux jeux de pouvoir, il est très critique de tout discours hégémonique, et donc des lectures purement historico-critiques — c’est probablement pour cette raison que j’ai eu tant de plaisir à le lire.

Ce qui suit est une traduction de A Script to Live (and to Die) By: 19 Theses by Walter Brueggemann posté en 2010 par Jason Goroncy sur son blog, Per Crucem ad Lucem (« Par la Croix vers la Lumière »). Je suis parfaitement d’accord avec les 10 premières thèses (et la quatorzième). Les deux premières thèses sont une négation de l’objectivisme critique, point pour lequel je suis très reconnaissant au post-modernisme sous toutes ses formes (même si je ne peux pas le suivre jusqu’au bout, et préfère donc me qualifier avec Polanyi de « post-critique » pour éviter la confusion des approches). Les thèses 7 à 10 présentent la tâche de l’Église comme étant d’annoncer un contre-scénario, ce qui est une image de la mission de l’Église que je trouve très éclairante. Les thèses 11 à 19 présentent une approche post-moderne de ces enjeux, et bien que j’aie des réserves fondamentales, je trouve qu’elles méritent d’être méditées. Edit 5 ans plus tard (janvier 2019): j’ai toujours des réserves par rapport aux thèses 11 et suivantes, mais moins. #mavie (mais tu es sur mon blog après tout).


Ces 19 thèses de Walter Brueggemann2 sont une invitation encourageante pour ceux et celles d’entre nous qui nous efforçons de vivre — et de former d’autres personnes à vivre — par ce que Brueggemann appelle « le scénario alternatif. »

1. Tout le monde vit dans un scénario. Le scénario peut être implicite ou explicite. Il peut être assumé ou non, mais tout le monde a un scénario.

2. Nous somme scénarisés. Chacun d’entre nous est scénarisé, à travers la culture, la formation et la socialisation. Et cela se passe sans que nous en soyons conscients.

3. Le scénario dominant dans notre société est un scénario de militarisme technologique, thérapeutique et consumériste qui nous affecte tous, libéraux comme conservateurs.

4. Ce scénario (militarisme technologique, thérapeutique, consumériste), promulgué par la publicité, la propagande et l’idéologie, particulièrement dans les liturgies de la télévision, promet de nous donner la sécurité et le bonheur.

5. Ce scénario a échoué. Le scénario de consumérisme militaire ne peut pas nous donner la sécurité et le bonheur. Il se pourrait que nous soyons une des sociétés les plus malheureuses du monde.

6. La santé de notre société dépend de notre renonciation et abandon de ce script de consumérisme militaire. Face à cette renonciation et à cet abandon, nous sommes principalement résistants et profondément ambigus.

7. La tâche du ministère est dé-scripter ce scénario parmi nous. C’est à dire rendre les gens capables de renoncer à un monde qui n’existe plus, et de fait n’a jamais existé.

8. Cette tâche de dé-scriptage, renonciation et abandon est accomplie par l’articulation constante, patiente et intentionnelle d’un autre scénario que nous disons capables de nous donner le bonheur et la sécurité.

9. Ce scénario alternatif est enraciné dans la Bible et promulgué par la tradition de l’Église. il s’agit d’une offre d’un contre-récit, opposé au scénario du militarisme technologique, thérapeutique et consumériste.

10. Ce scénario alternatif a pour caractéristique distinctive — son personnage principal — le Dieu de la Bible que nous nommons Père, Fils et Esprit.

11. Ce scénario n’est pas monolithique, unidimensionnel ou sans coutures. Il est décousu, disjonctif et incohérent. Il est en partie décousu, disjonctif et incohérent parce qu’il a été conçu au fil du temps par de nombreux comités. Mais il est aussi décousu, disjonctif et incohérent parce que le personnage principal — Dieu — est illusoire et irascible de liberté et de souveraineté et de discrétion, et, je suis emprunté de le dire, de violence — un énorme problème pour nous.

12. L’aspect décousu, disjonctif et incohérent du contre-scénario auquel nous rendons témoignage ne peut être lissé ou rendu cohérent car quand nous le faisons ce scénario devient aplati et domestiqué et ne devient qu’un faible écho du scénario dominant de militarisme technologique, consumériste. Alors que le scénario dominant de militarisme technologique consumériste ne cherche que la certitude, le privilège et le droit, ce contre-scénario ne concerne pas la certitude, le privilège et le droit. Ainsi il faut faire attention à laisser le scénario être ce qu’il est, ce qui implique de laisser Dieu être Dieu3.

13. L’aspect décousu et incohérent du contre-scénario auquel auquel nous rendons témoignage pousse ses adhérent à se quereller entre-eux — libéraux et conservateurs — d’une manière qui nuit aux principales revendications du scénario et ainsi affaiblit l’accent du scénario.

14. Le point d’entrée dans le contre-scénario est le baptême. Par lequel nous disons dans les anciennes liturgies, « est-ce que tu renonces au script dominant? »

15. La croissance, formation et socialisation dans le contre-scénario au caractère illusoire et irascible, est l’œuvre du ministère. Nous faisons cette œuvre de croissance, formation et socialisation par les pratiques de la prédication, la liturgie, l’éducation, l’action sociale, la spiritualité, et des voisinages de toutes sortes.

16. La plupart d’entre nous sont ambigus par rapport à ce scénario; ceux avec lesquels nous exerçons le ministère et, j’ose le dire, ceux d’entre nous qui exerçons le ministère. Au plus profond de nous, la plupart d’entre nous ne voulons pas choisir entre le scénario dominant et le contre-scénario. Au fond de nous, la plupart d’entre nous hésitons et marmonnons d’ambivalence.

17. Cette ambivalence entre les scénarios est précisément le lieu principal de la présence de l’Esprit, de sorte que le ministère consiste à nommer et à accroître l’ambivalence que les libéraux et conservateurs ont en commun et qui met les gens en crise et par conséquent appelle la résistance et l’hostilité.

18. Le ministère consiste à gérer de manières fidèles et fécondes cette ambivalence qui est extrêmement présente parmi les libéraux et les conservateurs, afin de permettre l’abandon de l’ancien scénario et l’adhésion au nouveau scénario.

19. L’œuvre du ministère est cruciale et essentielle et indispensable dans notre société précisément parce qu’il n’y a personne à l’exception de l’Église et de la Synagogue pour nommer et évoquer l’ambivalence, et pour tracer un chemin à son travers. Souvent je vois les tâches quotidiennes mondaines des ministres et je me dis, mon Dieu, qu’arriverait-il si tu retirais tous les ministre. Le rôle du ministère est donc aussi urgent que merveilleux et difficile.

  1. W.Brueggemann, Theology of the Old Testament: Testimony, Dispute, Advocacy, Minneapolis, Fortress Press, 1997.
  2. Ces thèses ont été présentée à la Emergent Theological Conversation, 13–15 Septembre 2004, All Souls Fellowship, Decatur, GA., USA.
  3. Pas réussi à rendre: « letting God be God’s irascible self. »
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