Légérement saoûlé à Séoul

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Après avoir participé 4 jours au Global Ecumenical Theological Institute à Séoul, et juste avant de nous enrouler demain matin vers Busan où nous participerons 10e Assemblée du COE — la partie principale ! — il est l’heure de faire un petit bilan de l’expérience jusque-là. D’autant plus qu’aujourd’hui, j’étais particulièrement mitigé quant à certains aspects, d’où le ton de certains paragraphes…

 

Grosso modo, les journées étaient réparties entre:

  • Cours ex-cathedra, suivi d’un petit temps de question
  • Temps de discussions en petits groupes
  • Beaucoup d’occasions de rencontres et discussions, en particulier autour des repas
  • Visite de Séoul, dont participation au culte dans une des communautés de la villes

 

Les thèmes abordés en cours étaient les suivants:

  • À la rencontre de l’autre — Introduction à la culture coréenne et à l’histoire de l’Église
  • Christianisme contemporain dans le contexte culturel coréen
  • Perspectives sur l’éco-théologie asiatique
  • Paix et réunification en Corée
  • Faire de la théologie asiatique avec des ressources asiatiques
  • Perspective théologique sur la place des femme dans le contexte asiatique

 

Tout ceci était, on le voit, principalement une introduction au contexte asiatique, avant de se lancer avec tout le COE dans les thèmes de l’Assemblée (Asie, Mission, Unité, Justice, Paix).

En attendant, quelques points forts de mon temps à Séoul.

0. Le contraste avec mon expérience en Inde

J’enchaîne cette rencontre après 2 semaines dans le Nord de l’Inde. Les églises que j’ai visités et les pasteur·e·s que j’y ai rencontrés sont extrêmement enthousiastes pour l’évangile, mais ont très peu de formation et de recul sur leur expérience. Ici, c’est l’opposé: plein de formation et de recul (environ 150 docteurs / doctorants), mais l’enthousiasme est bien caché. Par comparaison, tout me semble froid et formel, chaque mot mesuré et pesé, et les temps de cultes et prières me paraissent *§#¼@! à mourir. En Inde, il y a de la misère, des souffrances, mais on parle de Jésus au milieu de tout cela. Ici, on ne parle pas beaucoup de Jésus, mais beaucoup de la misères et des souffrances du monde.

Enfin bon, c’est aussi ça l’Église. (Et que cela soit clair, tout n’étais pas rose en Inde, différentes choses me frustraient ou m’énervaient aussi…)

1. La rencontre de l’autre

Le point le plus riche est certainement la rencontre d’autres jeunes chrétiens. En 4 jours, j’ai eu l’occasion de discuter avec un paquet de personnes (majoritairement en fin de master, dans le ministère, en doctorat ou enseignant) de toutes sortes de pays, classes sociales et dénominations.

Ça débouche les horizons.

Katia
Katia

C’est probablement ce que je vais garder de plus précieux en rentrant: quelques amitiés (dont des franco-suisses, yeah!), plein d’échanges, de partage de joie et de combats. Par exemple cet après-midi, Katia, de Tahiti, qui parle avec émotions de leur difficulté à préserver leur identité culturelle, et de leur impuissance face aux effets des essais nucléaires faits dans son pays, et les nombreuses maladie et empoisonnements qui en résultent.

Ou Laretoni, masai de Tanzanie, qui nous explique qu’à cause des mesures de protection de l’environnement mises en place par le gouvernement, son peuple est obligé d’aller la nuit couper clandestinement du bois afin de se construire tout de même des maisons.

Chacun vient avec son histoire, son contexte, ses combats, ses engagements. Et pour quelqu’un qui aime comme moi écouter les passions des gens, c’est fascinant!

2. Théologies et histoire asiatiques

Tous les cours jusque-là étaient donnés par des asiatiques, sur le contexte asiatique — ou du moins des perspective asiatiques sur le contexte global. Là-aussi, c’est intéressant de découvrir l’impact du chamanisme et du confucianisme sur les églises de Corée, les défis principaux des femmes en Asie, la théologie Minjung, ou les tentatives de réunification de la Corée du Nord avec la Corée du Sud.

Si je devais ne retenir qu’une intuition qui m’a particulièrement marquée, ce serait celle du Prof. Dr Kim Heung Soo et de son « Oikos Theology Movement » (video du cours). Il affirme que le cadre théologique actuel n’est pas capable de répondre aux défis auxquels notre monde fait face: guerres, enjeux économiques, menaces écologiques, relations interreligieuses, etc. Pour y parvenir, il faut un paradigme théologique radicalement nouveau. Ce paradigme ne doit pas être pensé en termes de « et » (l’humain et la nature, l’église et l’état, ich und du, etc.) mais doit penser « ensemble », en utilisant des concepts tels que sangsei (quelque chose comme ça) ou ubuntu. Il s’agit de penser tout le vivant dans son ensemble, de manière cohérente. Jusque-là, rien de très original. Là ou Dr. Soo va jusqu’au bout, c’est qu’il change radicalement la manière de faire de la théologie: ça ne peut pas être de la théologie prof et élève, c’est une théologie à élaborer ensemble. Il la fait de manière pratique, expérientielle, en communauté, par exemple via:

  • Prière, Culte, Réfléxions, échanges, etc.
  • Nourriture lente et cuisine saine: prendre le temps de cuisiner, réfléchir d’où les aliments viennent et les enjeux économiques et écologiques, renouveler le goût et résister aux « goût néo-libéraux » (?), cuisiner ensemble hommes et femmes, etc. 
  • Thérapie par la danse: retrouver une spiritualité du corps
  • Immersion dans le contexte local: participation à des manifestations anti-nucléaires, des marches pour la paix, etc.
  • Bref, une approche holistique de la théologie.

J’aime beaucoup cette approche communautaire, vécue, experientielle, holistique de la théologie. Et il est intéressant de voir que différents mouvements évangéliques en occident se tournent de plus en plus vers ce type d’approches pour renouveler la vie en société. À voir comment cela pourrait se concrétiser?

En même temps, puisque chaque thématique est couverte par une présentation de 20–30 mn, c’est très difficile d’éviter un traitement très superficiel des choses: « la situation de la femme en Asie n’est pas bonne, il faut réfléchir de manière critique et agir », « l’hégémonie technocratique issue de l’occident doit être combattue par une sagesse asiatique », « la formation théologique ne doit pas se calquer sur un modèle européen mais trouver ses propres ressources en Asie », etc.

Ce qui m’amène au point suivant.

3. Un côté un peu « bisounours »

Peut être que « bisounours » est un peu insultant, mais:

  1. c’est juste un sentiment que j’ai et qui je l’espère va s’en aller avec la suite de la conférence, et 
  2. je le met entre guillemets pour montrer qu’il s’agit en faite d’une expression d’une autre participante, et je m’en lave les mains.

De part le traitement très rapide des questions, il me reste toujours une petite impressions que les chrétiens « œcuméniques » (par opposition par exemple aux chrétiens « évangéliques », comme il est courant de les distinguer par ici, cf. un prochain article là-autour) sont une communauté de Miss Monde:

Le train de la paix
Le train de la paix

« La faim dans le monde, c’est mal. L’oppression des femmes, c’est mal. La séparation de la Corée, c’est mal. Le néo-capitalisme, c’est mal. L’hégémonie occidentale, c’est très mal. Heureusement, Dieu est avec nous, et c’est un Dieu de justice et de paix. Alors posons des questions critiques concernant l’impact hégémonique de l’oppresseur sur le contexte socio-historique dans lequel les marges déshumanisées subissent — et vice et versa — et agissons pour la paix et la justice. »

Et tout le monde dans la salle hoche la tête (puisqu’on ne crie pas « Amen! » ici, manifestement), l’œil légèrement mouillé d’émotions.

Il est vrai que beaucoup de monde dans les églises au niveau de la base ne sont pas au courant ou pas concernés par les forces dévastatrices à l’œuvre dans nos communautés, les inégalités criantes, les catastrophes menaçantes. Mais pas ici. De ce qu’il me semble, personne ici n’est surpris d’apprendre qu’un puissant patriarchalisme est à l’œuvre et continue de rendre la vie d’une bonne moitié de la planète plus dure que ce qu’elle ne devrait être. Ce qui m’intéresse, c’est des pistes concrètes pour aller de l’avant, des idées novatrices et subversives1, des moyens d’actions. Ou alors des outils d’analyse plus pertinent, je sais pas. Mais le simple fait de lister les problèmes, de dire que c’est mal et qu’il faut être critique et s’engager me frustre un peu. Si vraiment on a rien à dire, on peut toujours déchirer ses vêtements, se mettre de la cendre sur la tête et prier que Dieu nous donne quelque chose pour aller de l’avant! Plusieurs fois je me demandais: qu’est-ce qu’on accomplis réellement, là?

Et pire que cela, il me semble que ce qui me frustre vraiment, c’est l’approche très peu christocentrique des problèmes. Il me semble qu’une partie de ce qui a été dit pourrait être dit par n’importe qui. Théologiquement, cela se résume un peu à: le monde va mal, mais Dieu est un Dieu d’amour qui nous donne de l’espérance pour nous engager sur le chemin de la paix et de la justice.

Très beau. Très juste. Très insuffisant.

Quelle est la spécificité d’une approche chrétienne de ces questions? En quoi notre regard diffère de celui de celui d’un bouddhiste, d’un hindou ou d’un matérialiste? Qu’est-ce que l’évangile amène de plus, autre qu’un désir de paix et de justice? Quelle est la puissance de transformation pour la société d’un peuple rempli d’Esprit Saint? Et la question qui me reste toujours: qu’en est-il de la compréhension de la mission au sein du COE? Est-ce que cela se résume à cela?

Je suis convaincu qu’il ne s’agit ici que d’une courte introduction, que les limites de temps empêchent un approfondissement de ces questions, et que la suite du congrès permettra aussi un élargissement des thèmes abordés. Et donc je me réjouis de voir la suite.

4. Le Gimchi (김치)

Gimchi (CC-BY-SA Nagyman)

Heureusement, il y a le gimchi.

Le gimchi est un plat d’accompagnement à base de choux fermentés et épicés. Il est fidèlement présent à chaque repas, et accompagne à merveille tout type de nourriture.

Ma première rencontre avec le gimchi a eu lieu à Aix-en-Provence, où une très bonne amie le faisait fermenter sur le rebord de sa fenêtre. J’avoue avoir été à l’époque insensible à son charme (au gimchi; je suis tombé sur les charmes de la voisine, mais pas celle qui faisait du gimchi, celle qui laissait fermenter ses baskets sur le rebords de la fenêtre — mais c’est une autre histoire), j’étais aveugle, mais maintenant je vois. J’étais ageux, mais maintenant je goûte.

Je ne sais pas comment je ferais, après la Corée, pour retourner à une alimentation sans gimchi.


Ces découvertes et ces frustrations font certainement partie du jeu, et je suis toujours extrêmement reconnaissant de pouvoir participer à cette aventure fascinante et enrichissante!

  1. Comme par exemple le logiciel libre, qui est un moyen parfaitement subversif (qui utilise le système précisément pour le renverser) pour contrer l’hégémonie de la « propriété intellectuelle » actuelle.
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