Qu’est-ce qu’une non-conférence?

Q

À la recherche d’une méthodologie pour animer des discussions théologiques dans ma paroisse, qui soit: [a] aisée à organiser, si possible sans préparation, [b] bienfaisante pour la réflexion individuelle et communautaire, [c] conviviale, je me suis souvenu des non-conférences (unconference), un concept de conférence particulièrement intéressant. J’ai découvert le concept de non-conférence grâce à Etienne Guilloud, lors d’une soirée vitamine‑é du projet Khi.

La non-conférence

Le but d’une non-conférence est de garder les aspects bénéfiques des conférences conventionnelles (partage d’idée, réseautage, stimulation, etc.) tout en évitant certaines caractéristiques plus limitatives: frais de participation, conférences sponsorisées, organisation descendante directive (top-down) et donc jeux de pouvoir, etc. Il s’agit donc de rencontres organisées, structurées, conduites et nourries par les participants, au point qu’il n’y a pas forcément d’agenda au début de la rencontre. Les non-conférences préfèrent les discussions ouvertes aux discours ex-cathedra, en stimulant la liberté de mouvement et l’échange d’idée.

Les non-conférences ne sont pas sans parallèles avec la logique collaborative du logiciel libre (d’ailleurs beaucoup de modèles présentés plus bas sont issus de tels milieux), ou des technologies P2P (pair-à-pair, décentralisé — plutôt que passent par une autorité centrale). Dans son analyse classique de l’écosystème open source comparé au logiciel propriétaire/privateur, Eric Raymond compare la cathédrale et le bazar. J’imagine que la métaphore fonctionne ici aussi:

  • La conférence classique est semblable à une cathédrale: tout est bien agencé de manière hiérarchique, cela permet des résultats solides et esthétiques — mais avec peu de souplesse ni de vie.
  • La non-conférence est semblable à un bazar: une organisation collaborative, parfois bordélique, mais qui favorise l’adaptabilité et la créativité.

La cathédrale et le Bazar

Différents exemples de choses utiles relatives aux non-conférences

Le terme de non-conférence est appliqué à un grand nombre de rencontres.

Je ne suis pas un expert de ce qui est formellement une non-conférence ou non, mais voici un certain nombre d’approches, inspirations, outils ou notions (sans ordre réel) qui peuvent s’avérer utile pour s’approprier l’esprit des non-conférence dans nos activités.

1. Café philosophique (rencontre)

Le café philosophique est probablement la forme la plus connue de ce genre d’approche de la discussion. Le café-philo a été fondé par Marc Sautet (1947–1998), dans le but de décloisonner la philosophie et encourager la réflexion personnelle, libre et critique.

Le thème de la discussion peut être choisi au début de la séance en commun, qui a lieu dans un café. Le rôle de l’animateur n’est pas d’apporter des connaissance mais d’inviter les gens à aller plus loin dans la réflexion, en questionnant à la Socrate. Le tout est mené dans un esprit d’ouverture, tolérance et pluralisme.

La notion de café philosophique s’est diffusée dans le monde entier. On peut toutefois toujours visiter le café des Phares à Paris dans lequel Marc Sautet se rendait tous les dimanches matin à 11h pour conduire les premiers café-philo. Dès fois que ça nous intéresserait.

2. Café du savoir (rencontre)

Un café du savoir (knowledge café) est un type de rencontre favorisant l’échange et la créativité pour approfondir la connaissance d’un sujet, pour des groupes allant de 15 à 50 participants.

La méthodologie est la suivante:

  1. On commence avec les chaises en cercles. Un modérateur introduit la rencontre en expliquant le but et l’intérêt de telles discussions, et en posant quelques questions ouvertes.
  2. Le groupe se sépare en sous-groupes de 5 personnes, et discutent librement 45mn, sans prise de notes.
  3. Les participants reforment le cercle, et reprennent 45mn de discussion en rapportant les idées issues des petits groupes.

3. Forum Ouvert (conférence)

Le Forum Ouvert (Open Space Technology) est une méthode pour organiser des non-conférences de 5 à plusieurs milliers de participants sur plusieurs jours, popularisée par Harrison Owen. L’idée est partie d’une remarque entendue après une conférence conventionnelle:

« Super conférence! Mais le meilleur, c’était les pauses cafés. »

Bingo! Comment faire pour n’avoir que des pauses cafés?

Le Forum Ouvert est une conférence sans agenda. L’ordre du jour est crée en début de conférence: les participants proposent des sujets qui leur tiennent à cœur, fixent un endroit et une heure, et se retrouvent pour discuter avec les participants intéressés, qui se déplacent d’un groupe à l’autre comme bon leur semble. En fin de journée, un retour en plénière permet de partager l’expérience gagnée.

Quatre principes règlent les Forum Ouvert:

  1. Les personnes qui se présentent sont les bonnes.
  2. Ce qui arrive est la seule chose qui pouvait arriver.
  3. Ça commence quand ça commence.
  4. Quand c’est fini, c’est fini.

Et une loi les complète: la loi des deux pieds.

Si vous n’êtes en train ni d’apprendre, ni de contribuer — utilisez vos pieds, allez ailleurs !

Cette loi encourage le droit et la responsabilité de maximiser son apprentissage et sa contribution. Les participants papillonnent d’une discussion à l’autre selon les intérêt.

Il semblerait qu’un Forum Ouvert permette de traiter rapidement de sujets complexes.

4. BarCamp (conférence)

Le BarCamp est né en 2005, en réponse au Foo Camp (comprenne qui pourra!), elle aussi une non-conférence, mais sur invitation. Les BarCamps ont rendu le processus d’organisation d’une non-conférence beaucoup plus accessible, en mettant le tout dans un wiki ouvert.

Un BarCamp fonctionne sur le principe de la participation active de tous (« pas de spectateurs, que des participant »), à quelque niveau que ce soit. Le BarCamp met l’accent sur la reponsabilité de chacun à parler au maximum de l’événement pendant la conférence, pour favoriser un engagement avec des acteurs en ligne.

« When you come, be prepared to share with barcampers. When you leave, be prepared to share it with the world. »

Chaque participant commence par se présenter en 3 mots clés qui permettent de centrer ses intérêts (un des buts est de pouvoir se présenter tous même s’il y a 200 personnes, en 10mn, sans que la présentation soit triviale mais qu’elle permette de créer des lien).

Chacun inscrit ensuite sur une feuille un thème qui l’intéresse, ainsi que le lieu et l’heure de la discussion. Si j’ai bien compris, le principe est le même que dans un Forum Ouvert.

5. L’aquarium (méthode de débat)

La méthode de l’aquarium (Fishbowl) est une manière de gérer une discussion en grand groupe. On place au centre 4 ou 5 chaises, et toutes les autres en rond autour. Il existe ensuite deux variantes:

Dans l’aquarium fermé, toutes les chaises du milieu sont occupées. Un temps de discussion est fixé, après lequel tous les participants changent pour laisser la place à un nouveau groupe qui continue la discussion.

Dans l’aquarium ouvert, une chaise est laissée vide. À n’importe quel moment, quelqu’un du grand groupe peut rejoindre la discussion en prenant place sur une chaise. Un autre doit alors immédiatement libérer sa chaise. (Il existe une variante à 2 chaises: si quelqu’un veut rejoindre l’échange, il se place derrière le participant duquel il veut prendre la place et lui tape gentiment sur l’épaule pendant qu’il ne parle pas. Celui-ci doit alors lui laisser sa place.)

Après un certain temps, un modérateur clôt les échange et résume la discussion.

Un telle approche est excellente pour les grands groupes, mais défavorise largement les participants timides ou introvertis qui n’arriveront pas à prendre la parole devant un grand groupe.

Aquarium (méthode de débat)

6. Speed geeking (méthode de présentation)

Comme son nom l’indique, le speed geeking est au partage d’idées ce que le speed dating est à la rencontre romantique. Ce format a été utilisé pour la première fois pour les Penguin Days.

  • Tous les participants sont réunis au centre d’une grande salle.
  • Dans les coins et sur les bords, les présentateurs d’idées/concepts ont des tables.
  • Le modérateur introduit le concept, puis sonne une cloche.
  • Les participants se répartissent en petits groupes autour des présentateurs (dans l’idéal 6–7 participants par présentateurs). Ceux-ci ont 5mn pour présenter leur sujet, et répondre aux questions.
  • Lorsque la cloche retenti, les groupes se déplacent vers la table de droit.

7. Lightning talk (format de présentation)

Les « discours éclairs » sont un format de présentation utilisés dans des conférences qui veulent donner la parole à un maximum de participants. Chaque orateur à droit à 5 à 10mn (généralement 5mn), pour présenter le sujet de son choix. Les orateurs s’enchaînent les uns après les autres. Cette méthode est excellente pour partager de nombreuses idées avec des gens qui connaissent bien le domaine en question. La courte durée des sessions oblige les orateurs à aller droit au but (épurer le contenu), tout en travaillant la forme pour la rendre percutante.

Il existe différentes variantes basée sur des supports informatiques projetés:

  • PechaKucha (japonais pour « bavardage ») est un type de présentation basée sur 20 slides qui circulent toutes les 20 secondes, pour une présentation totale de 6mn40. Lors d’une telle conférence, chacun prépare sa présentation à l’avance et la montre aux autres. PechaKucha est souvent utilisé pour des thématiques artistiques (contenus plus visuels).
  • L’esprit d’Ignite (« Enflamme ») est bien résumé par son slogan: « éclaire-nous, mais fais vite! » Le format est un peu plus court que celui de PechaKucha: 20 slides de 15 secondes chacune. À un débit de 160 mots/minute, cela représente 40 mots par slide, et 800 mots en tout.

8. Dotmocracy (outil de décision)

La Dotmocracy — ou multi-vote, ou vote par points (dots) — est une méthode de décision par consensus. Chaque participant a droit à un certain nombre de points (ou stickers, ou traits de stylo), pour indiquer ses intérêts dans une liste de choix qui est présentée à l’ensemble.

C’est cette méthode qui a été utilisée dans la non-conférence à laquelle j’ai participé, pour choisir le sujet débattu après qu’une dizaine de sujets aient étés présentés par les participants. (C’est aussi cette méthode qu’on utilisait en famille pour choisir un film lorsqu’il y avait plusieurs choix et pas d’accord — et que j’utilise encore, au grand dam de ma dame.)

9. Spectrogramme (outil de visualisation)

Le spectrogramme est une manière de visualiser la diversité d’opinions qui existe au sein d’une communauté.

  • On trace au scotch un axe au sol le long d’une pièce, qui s’étend de « d’accord » à « pas d’accord ».
  • Le modérateur pose une question controversée, et les gens se répartissent le long du spectre selon leur opinion.
  • Le modérateur peut ensuite interroger certaines personnes le long du spectre.

Les questions doivent être bien choisies, pour être suffisamment controversées — mais pas trop.

10. Présentations (outil de connexion)

Dans les non-conférence, il est crucial de pouvoir identifier rapidement des liens entre les participants, pour créer des connexion significatives. La présentation des participations joue donc un rôle crucial.

En utilisant des méthodes simples, il est possible (parait-il) que 200 personnes se présentent en plénière en 10mn, de telle manière à ce que chacun repère quelques personnes avec qui il aurait envie de faire connaissance.

Comme moyen de présentation rapide et significatif, par exemple, chacun doit dire: son nom, son poste, et 3 mots qui le caractérisent (en lien avec le thème de la non-conférence).

11. Open Awards (outil de valorisation)

Les « cadeaux ouverts » (open awards) sont une manière de favoriser le soutien mutuel de la communauté, en fin de non-conférence:

  • un ensemble de petits cadeaux est mis au centre de la pièce (chocolat, bouteilles de vin, etc.).
  • chaque participant peut aller prendre un cadeau et l’offrir à un autre participant, en expliquant pourquoi.

Je trouve cette dernière idée particulièrement excellente.


Est-ce que j’ai besoin de dire que j’ai maintenant envie de vivre des cultes sur ce modèle? (Modèle qui n’a rien de neuf, d’ailleurs. Il a été inventé par une Madame L’Esprit, et théorisé par Monsieur De Tarse, dans une lettre Aux Corinthiens, tome 1, ch. 14, v. 26).

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3 commentaires

  • J’ai essayé de mettre en place des cultes sur une idée plus ou moins semblable, je les ai nommé « cultes participatifs » parce que la prédication était censée être faite par tous sur la base d’une réflexion en petits groupes autour de thématiques assorties à partir d’un texte biblique puis du partage d’un rapporteur. le tout suivi d’un débat. Beaucoup de remous… d’incompréhensions … Difficile de changer des habitudes vieilles de plusieurs siècles…

  • Super intéressant, et déjà très stimulant à lire. Certainement que plusieurs de ces idées vont être appliquées au sein du Think Tank Theology, où l’on cherche justement à « optimiser » en un sens nos workshops, pour permettre à un maximum des participants de pouvoir exprimer, confronter leurs idées, mais aussi être stimulés dans leur réflexion. La Dotmocracy pour choisir le sujet du prochain weekend, et le « forum ouvert » me parait être faisable sur un weekend ou pour organiser un événement bonus, etc. Bref, merci à Etienne pour t’avoir fait découvert cela, et à toi pour cet article de synthèse!

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